Plan d’Aou (15ème), dans les quartiers Nord de Marseille, "oubliés" de la programmation de Marseille Provence 2013. Une image issue de "Faux-Bourgs", très belle série documentaire de la photographe marseillaise Yohanne Lamoulère. © Yohanne Lamoulère-Transit-Picturetank
< 11'02'13 >
Marseille 2013, centre-ville européen de la culture
(Marseille, correspondance)
La Capitale de la culture a été lancée en grande pompe le 12 janvier. Un succès populaire si l’on en croit la fréquentation, avec plus de 400.000 personnes en goguette sur le Vieux Port. Mais que se passera-t-il en cette année « capitale » du côté des quartiers populaires ? Pas grand chose, si l’on en croit le programme… et les habitants.
Contre toute attente, Jean-François Chougnet, directeur de Marseille-Provence 2013 (MP2013) est à compter parmi les contempteurs de la soirée d’ouverture de l’année Capitale de la culture : « Notre pari avait été de dilater le centre-ville. Le réflexe Vieux Port a beaucoup joué et nous avons été un petit peu débordés. » La grande majorité des 400.000 personnes réunies ce soir-là s’est en effet regroupée au centre-ville, délaissant d’autres lieux inscrits au programme, tels le Silo et le J4.
Réflexe marseillais ou réalité due à l’organisation elle-même ? Sûrement un peu des deux, même si l’on ne peut que constater que les évènements et les festivités de MP2013 se concentrent au cœur de Marseille, délaissant les zones plus populaires. Et, notamment, les quartiers Nord.
« Nous n’avons pas le cœur à fêter cette Capitale européenne de la culture quand nos quartiers s’enfoncent de plus en plus dans la pauvreté. »
Karima Berriche, Centre social l’Agora
Les mauvais esprits pourraient faire remarquer que leurs habitants se font promener par MP 2013. C’est ce qui se dégage de la programmation : la coopérative Hôtel du Nord y organise des balades patrimoniales, ainsi que la possibilité de se loger chez l’habitant, et le tout nouveau circuit de grande randonnée (GR) traverse le nord de la ville. Mais pour déambuler, encore faut-il être informé…
Pour Julien Silve, professeur d’histoire-géographie dans le quartier de Malpassé (13ème arrondissement), animateur d’un atelier cinéma, « ici, nous n’avons entendu parler de rien : 2013, c’est Marseille centre-ville capitale de la culture. » Une habitante de La Viste (15ème) renchérit : « Il y a des affiches dans le métro parisien “Descendez à la Capitale”, mais pas chez nous ! »
Et quand l’information arrive dans les quartiers populaires, elle n’est guère festive : les Quartiers créatifs, fer de lance de MP2013 dans les périmètres de réhabilitation urbaine, ont été certes médiatisés, mais davantage pour leurs déboires. Ces « ambitieux projets » avaient pour objectif, « à partir d’une forte dimension participative des habitants, [de] réaliser des présences artistiques inscrites dans la durée », expliquait Jean-François Chougnet.
Tant l’aspect participatif que pérenne laissent à désirer, comme en témoignent les mésaventures des éphémères « Jardins possibles » du Grand Saint Barthélémy (14ème) voués à disparaître sous des travaux en 2014. En décembre, cinq associations dénonçaient le coût de cette installation artistique des collectifs Safi et Coloco qui leur était imposée, estimant que les 420.000 euros de subvention auraient pu être mieux utilisés dans une zone où « le taux de chômage des jeunes est de 60% ». Ce projet a été conçu sans les associations locales, selon Karima Berriche, du Centre social l’Agora, qui proposaient de travailler « autour de l’emploi et de la formation ». Début février, neuf associations du 14ème (dont la Confédération syndicale des familles, l’ADDAP 13, ou encore l’Association Vision de femmes Picon) ont annoncé leur départ définitif du projet. La réunion de concertation avec MP2013 prévue le 21 janvier a été annulée et jamais reprogrammée. Pour Karima Berriche, « ils n’ont jamais voulu travailler réellement avec nous ».
Ce cas de mésentente n’est pas le seul. Au centre social de Campagne-Lévêque (15ème), la directrice Élisabeth Malan déclarait récemment à « Libération » ne pas à comprendre « les propositions qui [leur] étaient faites, loin de [leurs] préoccupations quotidiennes. La plus aboutie venait d’un artiste qui proposait que des bénévoles découpent des cartons pour une œuvre pour laquelle lui était payé. Cela [leur] a semblé déplacé. »
Comme peut sembler déplacé le projet Quartier créatif de l’artiste et paysagiste Jean-Luc Brisson, au Plan d’Aou (15ème) : sa « Bank of paradise » propose aux habitants de réaliser… de la fausse monnaie… Génie artistique ou cynisme ordinaire, dans un quartier où la principale problématique est le manque de revenus ? À l’automne dernier, le premier guichet tout en bois de cette « banque du dehors » était retrouvé calciné. « On peut être vu comme des gens qui touchent du fric public », commente, lucide, Jean-Luc Brisson.
« MP 2013 aurait dû apporter la culture dans les quartiers Nord, cela aurait été un message fort adressé à la jeunesse populaire. »
Hassen Hammou, association relais Enfance famille
À la Savine, toujours dans le 15ème, quelques associatifs, habitants et entrepreneurs se sont indignés de « n’avoir pas été consultés » par MP2013. « Ici, il y a 200 policiers, un centre de toxicomanie, un hôpital psychiatrique. Par contre, il n’y a pas de bibliothèque municipale digne de ce nom, pas de tram, pas de musée de l’histoire culturelle de Marseille, constate Hassen Hammou, de l’association relais Enfance famille. Ici aussi, la culture nous intéresse. Mais il faut des lieux pérennes, pas seulement des défilés festifs. »
Pour autant, même si les dents grincent dans les quartiers, les jeunes sont descendus faire la fête au Vieux Port le soir du 12 janvier : « Ils aiment leur ville, ils aiment Marseille, et ils voulaient en être, explique Karima Berriche. Mais les jeunes artistes du quartier, les jeunes rappeurs, ont eux l’impression de n’avoir pas été invités à cette Capitale culturelle. Quant à la majorité des habitants, il faut avouer que ça leur passe au-dessus de la tête. Quand on a un fils en prison, qu’on ne sait comment on va finir le mois, la culture, c’est le cadet de vos soucis. Nous n’avons pas le cœur à fêter cette Capitale européenne de la culture quand nos quartiers s’enfoncent de plus en plus dans la pauvreté. »
Pour Stéphane Sarpaux, l’un des fondateurs du Off, « on ne peut pas demander à la culture de se transformer en outil de développement économique. MP2013 s’est investi, avec les Quartiers créatifs. L’objectif était de faire du lien, mais les projets n’ont pas été réellement réfléchis. Le problème est qu’ils n’ont pas travaillé avec les opérateurs culturels de ces quartiers, ne les considérant pas au niveau. »
Pourtant, le Off, pensé à l’origine en réaction à la programmation institutionnelle de MP2013 – avant de s’institutionnaliser à son tour –, est lui aussi absent des quartiers. « Nous ne nous sommes pas posés la question de la représentation territoriale, explique Stéphane Sarpaux. Nous organisons des évènements où c’est possible, et en restant dans notre rôle. Quand nous avons demandé au patron de la Régie des transports de Marseille (RTM) s’il était possible d’organiser un évènement dans une station de métro, il nous a proposé Bougainville. La raison ? Il y avait eu une bataille rangée entre jeunes et agents de la RTM, et un peu de culture aurait “changé l’ambiance”. Nous avons refusé, nous ne sommes pas là pour ça. » On dirait même plus : MP2013 ou Off, ils ne sont pas là… du tout. En tout cas pour les habitants des cités populaires marseillaises.
françois maliet
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