Réactions à la décision de justice concernant le site note2be, qui doit cesser de collecter les noms de profs qu’il appelait à noter.
Bonnet d’âne pour le site note2be.com sommé d’arrêter la collecte de données privées sur son site de notation des profs par les élèves. © DR
< 05'03'08 >
Note2be, zéro de conduite
C’est aujourd’hui mercredi 5/03 à 16h32 que le site note2be.com doit cesser ses activités. En renversant les rôles et en proposant une gigantesque base de données nominative où « les élèves notent leurs profs », note2be a fait monter le buzz en provoquant les réactions embarrassées du ministre et énervées des syndicats d’enseignants. Et s’est pris les pieds dans le tapis : lundi, le tribunal de grande instance a ordonné à note2be de supprimer toutes les « données nominatives » sur les enseignants qu’il avait collectées. Une décision largement commentée, du ministre de l’Education aux syndicats d’enseignants, qui se félicitent conjointement que la justice ait mis un coup d’arrêt à des pratiques limites en matière de libertés publiques… Derrière le site, un proche de l’UMP et « startupeur » de la vague Web 2.0, Stéphane Cola, qui se drape dans la défense de « la liberté d’expression sur Internet en France » pour faire appel de la décision. Sur le site, cette petite phrase : « Nous sommes inquiets quant à l’avenir du Web 2.0 en France. En effet la décision prise par le TGI le 3 mars remet en cause le fondement même du Web “contributif” dans notre pays. » Poptronics s’était refusé à faire campagne pour ou contre ce site « contributif », manière d’éviter d’accorder une publicité même critique à un projet essentiellement démago. A la lecture de cette tribune cependant, et parce que la liberté d’expression a un sens, que l’interactivité et la participation ne sont pas que des slogans pour startupeurs, nous avons demandé à des artistes impliqués dans les réseaux, des chercheurs et des activistes de réagir. Les voici. Agnès de Cayeux, artiste : « Le 7 septembre 2007 à 12h02, Stéphane Cola achète le nom de domaine note2be.com Le 21 février 2008, Stéphane Cola est un jeune entrepreneur du Web 2.0 fier de son succès, la startup fait la une de plus de 50 médias nous dit-il sur un buzzcast du Web 2.0, et génère 500000 résultats dans Google, 100 000 visites par jour, provoquant 2 déclarations de ministres (du bon buzz) et plusieurs centaines de plaintes. Le 25 février 2008, la régie publicitaire Comclick et une vingtaine d’annonceurs se retirent de la startup. Le 3 mars 2008, quelques annonceurs sont encore présents sur le site de la startup comme on peut le voir sur les pages caches de Google mon amour. Qu’il soit rassuré, tous les 11 décembre, et à l’initiative de Loïc Le Meur, les jeunes entrepreneurs et multinationales du Web français se réunissent pour décider de quelle manière établir des business-model poids plume grâce à la syndication de contenus et de services. Sans ces architectures participatives, l’avenir du Web $ de Loïc, Stéphane et ses nouveaux amis s’écroulerait. Le fondement même du profit par la contribution libre serait remis en cause. Soit Stéphane Cola est vraiment trop con, soit il a une nouvelle chouette idée de startup qu’il nous présentera le 11 décembre prochain. Parce que si Stéphane Cola avait un peu de culture (la sienne), il aurait lu les perspectives sur les libertés et données personnelles copiées-collées par son chef président de l’UMP. Il aurait lu les mots de son nouvel ami du Web $, Loïc Le Meur, « conseiller Internet de Sarkozy ». La liberté d’expression sur Internet, Stéphane, n’a rien à voir avec l’esprit mercantile développé par ceux qui ont de chouettes idées. Si tu veux, avec mes vieux amis, j’ai plein d’idées pour un Web 2.0 super chouette, et surtout pour une cible très fructueuse, celle des jeunes... Surtout, n’hésite pas, écris-moi Stéphane, y’a mon adresse postale sur http://online.net/whois.pl... si tu saisis mon nom de domaine not2be.net que j’ai créé le 28 décembre 2000, lorsque Loïc Le Meur et tes nouveaux amis étaient à la pêche aux bigorneaux :) Lorsque nous, artisans du Web, nous pensions l’architecture participative pour un autre Web 2.0, celui que vous avez défoncé... » Nicolas Frespech, artiste : « Je suis allé chercher mes anciens profs sur note2be mais ils n’étaient pas présentés, et je ne suis pas si vieux, ils ne sont donc pas tous à la retraite ou morts ! Quand j’étais au collège, j’aimais bien les profs qui étaient bien habillés : un teen est très doué pour juger le look d’un prof plutôt que sa pédagogie… C’est pas dans l’air du temps de tout noter, de tout évaluer, en commençant par nos ministres et leurs télégénies, pardon leurs objectifs réalisés (mention spéciale pour Christine Albanel !) ?? Il me semble qu’en France il nous reste quand même encore le droit de refuser d’être la matière première d’un projet qui, ne l’oublions pas, est 100% privé, type « je suis cool et je vais me faire de la thune avec ma startup ! ». Il y a un réel souci de marchandisation de la personne derrière une pseudo-cool attitude Web 2.0/20 et c’est là-dessus que nous pouvons réagir et agir. Loz from provisoire (André Lozano), enseignant artiste : « Ça fait des lustres qu’à l’Education nationale on a compris qu’on ne doit pas juger les individus mais qu’on doit seulement évaluer leurs résultats, qu’il faut distinguer la personne et les performances, que ce qu’on note, c’est la copie et non son auteur. Par conséquent, la première impression que m’a fait note2be.com est celle d’une vision passéiste et réactionnaire, où il suffirait de livrer en pâture à la populace vengeresse les profs pour surmonter tous les problèmes sociaux, éducatifs et éthiques qui hantent notre système éducatif. Ce site veut nous faire croire que le problème de l’Education nationale, ce sont les profs ! tout comme on veut nous faire croire que les entreprises ferment à cause des ouvriers qui ne travaillent pas assez, une bonne manière d’épargner ceux qui ont en charge la direction et la gestion du travail, de l’éducation et de l’économie. Au-delà du simple manquement au respect de la vie privé (après le travail, les profs méritent eux aussi un peu de paix) c’est l’inanité de ce site qui me désespère, car en définitive il ne propose rien pour développer des échanges entre parents, élèves et professeurs. C’est tout le contraire d’un site de type Web 2.0, en effet il force ses membres à porter des jugements sur la base de critères prédéfinis et totalement orientés. C’est le type même de site basé sur le jugement à priori sans ouverture ni échange, c’est du pur Web 0.0. Il existe d’autres sites mieux adaptés à la réflexion sur le système éducatif comme par exemple le Café pédagogique et qui mériteraient qu’on s’y attarde plutôt que de perdre son temps sur un site dont l’objectif est de générer des revenus grâce à la publicité en titillant les bas instincts de la populace. Une petite recherche « forum éducation » sur Google suffit pour montrer qu’on n’a pas attendu note2be.com pour parler éducation. » André Gattolin, chercheur : « J’ai un double problème : par principe je n’aime pas les notes et en même temps je n’aime pas la censure. Je n’aime pas la verticalité des choix et des jugements venus d’en haut qui s’abattent sur le quidam sans possibilité de contester, de répondre, de renvoyer... Et c’est bien comme cela que fonctionne le système scolaire avec ses notes. Il n’y a pas de raison dans ce cas-là que les profs ne soient pas notés en retour par ceux qu’ils notent. A Sciences Po, quand j’y enseignais, j’étais noté par les élèves ; ce n’était pas toujours plaisant, mais c’était assez sain. Cela dit, je reste hostile à la notation bête et méchante (qu’elle émane des profs ou des élèves). Sur le Net en particulier, c’est le droit de cabale de la part des élèves, comme cela peut-être le délit de sale gueule ou de non-conformisme de la part du prof vers un élève. J’ai vu à la télé le mec de note2be.com. Il a l’air d’un sale con. Je ne lui mettrais pas une note (même mauvaise), mais je ne me gênerais pas pour donner mon avis qualitatif à son endroit... Ce qui m’insupporte c’est vraiment le système de notation. De plus, que pourrait bien vouloir dire une moyenne de notes attribuées par un groupe de personnes sur le Net. Qui note ? Tous les élèves ou un groupe coalisé d’antis ou à l’inverse de groupies ? En revanche, je suis tout à fait favorable à des avis développés, avec des arguments, des exemples et même des coups de gueule à l’encontre d’un prof. » Jérôme Joy, compositeur :
« Tout le dilemme et la confusion sur ce que représente le Web contributif concernent les effets de revirement ou d’inversion des circuits lorsque ceux-ci créent ou sont utilisés pour créer des schémas aliénés à la consommation à tout crin. Le principe du bottom-up dans le contributif est aussi aujourd’hui une arme dans l’arsenal du social engineering, et un argument qui peut devenir fallacieux pour défendre les principes démocratiques. Dans ce sens, les vecteurs de parité et de réciprocité présents dans le contributif et le coopératif sont oubliés et volontairement ignorés, c’est-à-dire que contribuer devient dans ce cas un acte de consommation. Lorsque le contributif est convoqué pour justifier les voix individuelles (par nombre, par comptage) pour alimenter une médiamétrie qui est utilisée pour faire loi ou faire poids du bon sens afin de casser/dévaluer ce qui fait partie du commun et du partage de nos expériences, de nos transmissions (l’Education en fait bien évidemment partie) et ainsi du sensible (tel que l’énonce Rancière), nous sommes bien loin des propositions d’émancipation présentes dans les potentiels des réseaux. Ces potentiels à la fois utopiques et nécessaires aux récits et constructions humaines sont remarquées depuis plusieurs années dans les études et les expérimentations (artistiques) liées aux pratiques numériques. Quand le contributif et la coopération (ce que nous avons engagé ou impliqué dans les réseaux, et non ce que les réseaux nous ont appris), prennent une dimension de ce que j’appelle émancipation et fabrication de situations (dans mon cas, d’écoutes), il s’agit de réactiver des moments d’évaluations ensemble et non pas de sombrer ou de subir dans les consommations collectives. Rendre instable et caduque le commun, le mutuel, en magnifiant l’individuel
consommatoire/teur au nom d’un collectif uni dit souverain,
comptable ou encore rentable, ne peut pas amener une grammaire
sociale, créatrice, co-élaborée. Les échanges d’expériences, de savoirs et de connaissance sont remplacés de plus en plus par des préconisations et des consommations, qui par comble sont justifiées par les résultats de sondages référendaires et de contributions publicitaires collectives. Nous devenons tous utilisateurs, et non plus acteurs, de notre propre
collectif, sans possibilité de jurisprudences et d’amendements pour
faire vivre notre commun. Note2be porte bien son nom : il nous faut « ne pas être », ne représenter qu’un utilisateur et consommateur de services, tels que pourraient le devenir l’éducation, l’enseignement, la culture, bref la connaissance. Si la connaissance et la culture deviennent indubitablement des services à consommer (nous y sommes presque), comment tout un chacun pourra-t-il construire ses (propres) éléments de critique face à la consommation qui sera alors généralisée ? D’autre part, si l’interrogation se pose sur la fermeture du site note2be.com comme privation de liberté (d’expression), il me semble que la liberté invoquée, celle de noter ses précepteurs, se fait au détriment de celle de ces derniers. Contribuer (fournir sa part), signe d’affranchissement et de consentement délibéré, n’est jamais un facteur d’inanité sociale. » Olivier Auber, chercheur : « A bon entendeur salut ! pour tous ceux qui confondent participation et hystérie, et qui au passage instrumentalisent l’un et l’autre pour leur propres fins. Dans le Web tel qu’il se construit sous nos yeux (le Web 2.0), il n’a pas de communautés, il n’y a que des opérateurs de communautés qui s’ entre-dévorent pour leurs parts de marché. Ils attendent des utilisateurs qu’ils se comportent comme des enfants et des consommateurs. Attention au retour de bâton, que ce soit par le biais de la loi, ou par les utilisateurs eux-mêmes ! » Albertine Meunier, artiste : « Cela me rappelle le coming-out forcé d’une personne, déclarée homosexuelle sur Wikipédia par quelqu’un d’autre, ou ce philosophe qui avait une page sur Myspace sans le savoir. Maîtriser son identité en ligne est devenu un boulot énorme... mais à ce jour, seuls les contenus étaient notés sur le Web, noter des individus fait partie des grands dérapages. Tout ce qui fait référence à un jugement par trop personnel, à l’opposé d’expert, ne fait pas partie du modèle que je projette dans le Web 2.0. Mais ce n’est pas parce qu’il y a collaboration dans le Web 2.0 qu’on doit avoir une posture de collabo... de dénonciateurs... de notes d’individus. Bref, tout ceci devient très-très gênant à force. Car est gagnant celui qui devient maître dans l’art de la manipulation des outils Web 2.0. Silvain Gire, responsable d’Arte Radio : « Je n’ai absolument aucun avis sur la question, ni d’ailleurs sur le Web 2.0. Comme tout le monde, j’ai eu des profs extraordinaires et d’autres indignes, et comme tout le monde, j’aurais aimé que ça se sache. La mise en compétition des enseignants sera un jour une réalité, avec ou sans le site note2be. A ce moment-là, on regrettera sans doute ces margoulins démagogues et leurs blagues de potaches. Comme on voit, n’avoir aucun avis n’empêche pas de causer ;) »
Papillote à l’âge du Faire
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