Popsonics radio à Mains d’œuvre en octobre 2009. Prochain rendez-vous de la webradio de Poptronics, en mars à Nantes, pour le festival Sonor. © DR
< 29'01'10 >
Poptronics 2010 : less is more
L’information indé sur le Net passera-t-elle l’année ? Pour les pure players de l’info comme Poptronics, 2010 est de fait une année déterminante. Ces sites, qui créent des contenus d’information en ligne sans s’appuyer sur un groupe de presse ayant pignon sur « vieux médias », sont encore assez peu nombreux en France, et ont émergé sensiblement à la même date : Rue89 le premier en 2007, Bakchich, puis Médiapart, Arrêt sur images ou, plus récemment, Slate.fr (on n’évoque pas ici le cas du Post, une émanation du « Monde », ou de Fluctuat, ex-indé du Web qui appartient au groupe Lagardère).
Tous ont en commun des moyens limités et une grande incertitude sur leur avenir, même si chacun y va de sa petite musique éditoriale, « l’info à trois voix » chez Rue89, l’abonnement et l’investigation pour Médiapart, le commentaire et l’analyse pour Slate, l’impertinence pour Bakchich… Tous souffrent de la crise économique et de l’absence de modèle économique pérenne pour les contenus sur le Net (Bakchich, qui a lancé un hebdo papier en septembre, est même depuis novembre placé en redressement judiciaire pour six mois).
La carotte de l’aide publique
Chez Poptronics, né en juin 2007, l’atypisme se cultive : seul agenda partagé qui défende l’idée que le numérique a tout changé à la culture, c’est aussi le seul de ces nouveaux médias à avoir voulu innover sur le fond et la forme de l’info, en la présentant via un fil calendaire adapté à l’idée d’une sélection thématique de l’offre culturelle. Autre différence, la modestie des moyens financiers à disposition de l’équipe. Poptronics n’a pas levé de centaines de milliers d’euros – pas qu’on n’ait pas essayé, hein, mais le concept a beau plaire aux internautes, il convainc difficilement les banquiers... Comme tous les autres cependant, Poptronics tient à sa survie, en attendant que le modèle économique se fasse jour. Mais n’ira pas demander de subventions publiques à l’Etat.
En 2009, en effet, les Etats généraux de la presse écrite, qui avaient passablement exaspéré les indépendants (dont Poptronics), ont abouti à la création du statut d’éditeur de presse en ligne. Aussitôt suivi d’un joli petit gâteau d’aides publiques de 60 millions d’euros sur trois ans.
Un méchant effet boomerang
Le bout du tunnel ? Pas si simple. D’abord parce que les aides iront majoritairement à des entreprises de « vieille » presse (sur les 64 dossiers déposés, 8 seulement émanent de pure players), aux équipes suffisamment charpentées pour produire toutes les pièces exigées par le gouvernement. Autant dire que poptronics, sur ce coup-là, ne peut évidemment pas lutter : ni conseiller financier, ni avocat spécialisé n’accompagnent l’équipe, elle-même certes ultra motivée pour produire de l’information différemment, mais également préoccupée par sa survie en général…
La première salve d’aides a d’emblée créé un effet boomerang sur l’Internet. Personne n’a critiqué le fait que l’essentiel de ces aides aille à des Lagardère and co. Tous n’ont eu d’yeux que pour ces sites indés qui ont rempli comme un seul homme les dossiers pour bénéficier des subsides que leur accorderait un gouvernement qui n’a pas particulièrement prouvé son attachement à la liberté de l’information. Les blogueurs et internautes partisans d’une information a-centrée, un principe fondateur de l’Internet et peu représenté sur les sites d’information généraliste, ont eu tôt fait de se gausser. Effet désastreux sur l’image des tenants de cette nouvelle information en ligne, Rue89 en tête, qui ont eu quelque mal à se justifier. D’après « le Monde », Rue89 aurait décroché près de 250.000 euros d’aides publiques, Slate 199.000 et Médiapart 200.000 (la fameuse nouvelle enveloppe des aides à la presse en ligne).
Un financement contre-nature
Chaque internaute ayant plus ou moins son opinion sur la question, les salves sont parties tous azimuts, dès la première partie de l’enveloppe attribuée. Certaines plus polémiques que d’autres. Au fond, pourquoi « Arrêt sur images », par la plume de Daniel Schneidermann, refuserait-il les aides que Rue89 et Slate accepteraient ? Y a-t-il une telle différence de fond entre leur manière de traiter l’actualité ?
Poptronics a bien du mal à croire que l’absence de modèle économique puisse trouver une solution dans un système d’aides publiques. Nous n’avons donc déposé aucune demande, et ne le ferons pas. Question d’indépendance certainement, mais pas que. Chez Poptronics, on défend l’idée que l’hybridité des points de vue peut apporter une meilleure information, que ces artistes et chercheurs qui contribuent régulièrement dans nos pages, certes passées à la moulinette journalistique, sont un sacré « plus » pour l’information. Par principe, il nous serait quasiment impossible d’entrer dans les cases très « corpo » qui distinguent la « bonne info » produite par les journalistes pro, de la « malinfo » des blogueurs et autres non-spécialistes.
Depuis sa création, Poptronics a par trois fois été soutenu par des aides de l’Etat (pour un montant de 14.000 euros), mais indirectement : il s’agissait à chaque fois d’aides à la création, d’aide à l’édition sur des projets artistiques. Et même si l’on sait que l’AFP n’existerait pas sans soutien public (un abonnement de l’Etat finance de facto l’agence de presse française), que d’excellents journalistes travaillent en toute indépendance à la radio et la télévision publiques (tout autant en tout cas que dans les rédactions privées façon TF1), l’idée de financer publiquement l’information indépendante, et parfois radicale, que produit Poptronics a quelque chose d’intrinsèquement contre-nature.
Enthousiasme, modestie et innovation
La publicité que nous continuons d’afficher sur le site est loin d’apporter des recettes conséquentes (puisque la publicité en ligne ne rapporte qu’en volume, donc seulement à ceux qui peuvent prétendre au million de visiteurs uniques par mois, sauf si l’on passe par Google Adsense, dont Poptronics a été exclu dès novembre 2007…). Et nous nous refusons à faire payer le contenu - certes, une piste sérieuse pour faire rentrer quelques pépettes, mais une impasse sur le Net aujourd’hui. Enfin, aucun riche mécène n’a pointé le bout de son nez - pas faute, là non plus, d’avoir cherché la perle rare !
L’équation est du coup assez simple : des contenus originaux certes, plus de 50.000 visiteurs uniques par mois certes, une panoplie de projets passionnants (j’y viens) mais pas de rentrées d’argent. Poptronics n’entend pas se lier les mains, rentrer dans le rang en acceptant des aides ponctuelles qui ne règleraient rien sur le fond et nous obligeraient à montrer patte blanche journalistiquement parlant. Nous pensons, à l’instar de Thierry Crouzet, que l’information sur le Net exige de nouvelles pratiques, qu’il y faut de la modestie et de l’enthousiasme, de la fraîcheur et de l’innovation.
L’équipe de Poptronics déploie une énergie rare à chercher les moyens de pérenniser l’expérience. D’abord en misant sur le long terme : Poptronics participe activement à la mise en place, dans le courant de l’année, d’une plate-forme open source de dons, pour imaginer une façon simple et alternative aux paiements (et au droit d’auteur) des créations sur Internet. La Société d’acceptation et de répartition des dons (Sard) est un projet tout sauf m’as-tu-vu, plutôt technique et complexe à mettre en place, mais qui pourrait faire basculer bien des habitudes (et si on donnait pour soutenir les créateurs, les musiciens, les cinéastes et les auteurs de blogs ou de sites comme Poptronics ?).
Des projets plein les cartons
Poptronics se diversifie aussi, avec sa webradio de création Popsonics, dont on attend la prochaine émission (du 28 mars au 1er avril autour du festival Sonor, au Lieu unique à Nantes), et un site dédié plutôt très innovant. On poursuit aussi la veine des pop’lab extension (le magazine en PDF en version imprimée), avec le lancement à venir du numéro franco-brésilien consacré à Guillaume-en-Egypte et la mise en chantier du prochain, franco-russe celui-ci, dédié à Olga Kisseleva. Poptronics pense également à s’inviter dans les pages de quelques magazines papier (mais ne voudrait pas dévoiler toutes ses cartouches), bosse d’arrache-pied sur un projet de Pierre Giner, un « machin » hybride, entre papier et écran, livre et objet, média et art.
Et poptronics.fr évolue au quotidien. Puisque tous ces projets exigent du temps de maturation/préparation, et que le temps c’est de l’argent, le fil continu du site s’en trouvera quelque peu chamboulé. Nous prendrons ce temps qui file entre les doigts de tout le monde pour arrêter encore davantage le flux incessant du numérique. Non que ce flux nous déplaise, nous baignons dedans bien au contraire. Mais parce que l’arrêt sur flux est une des qualités à rebrousse-poil de ce site, que de grands entretiens avec des artistes, de grands reportages sur les franges avant-gardistes de la culture comme de petites piqûres de rappel sur ce qui fait notre net-culture contemporaine nous semblent tout ce qu’il y a de plus indiqué pour tenir face au rouleau compresseur de la normalisation, du nivellement des cerveaux à l’heure du sarkozysme dominant. Nous n’entrons pas en résistance, nous sommes déjà des résistants !
Quant à vous, qui passez par là régulièrement, nous comptons vraiment sur vos idées, soutiens et propositions. Nous les attendons et les sollicitons avec beaucoup de curiosité et d’humilité : il ne s’agit pas ici de trouver des concepts marketing mais de chercher ensemble une autre façon de produire sur le Net des contenus de qualité, hybrides, innovants, sans être vendus à Google ou à l’Etat français. Une autre voie est-elle possible ? On y croit, et vous ?
annick rivoire
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