Interview de Steven Poole, auteur de la bible « Trigger Happy », disponible en téléchargement, à l’occasion des 50 ans du jeu vidéo.
Parmi les instruments du Brookhaven National Lab, l’oscilloscope (sous la flèche) qui sert d’écran au premier jeu vidéo, « Tennis for two », en 1958. © DR
< 06'08'09 >
Steven Poole : 50 ans après, le jeu vidéo vire enfin objet d’étude
(Pop’archive).
Qui l’eût cru ? A la fois industrie multi-milliardaire et pratique culturelle encore contestée, le jeu vidéo atteint le demi-siècle d’existence cette année : le premier spécimen est né en octobre 1958, au fond d’un laboratoire de recherche nucléaire de l’Etat de New York. Un physicien, William Higinbotham bricole un jeu de tennis sur un oscilloscope (dont on peut encore voir une vidéo sur le site du laboratoire), pour une journée portes ouvertes. Sobrement baptisé « Tennis For Two », le jeu dépasse ses espérances : pendant deux années consécutives, la foule se presse pour l’essayer. Higinbotham, lui, ne fait même pas breveter son invention. En cinquante ans, leur histoire s’est nettement enrichie, mais, si des centaines d’articles sont écrits chaque jour sur le sujet, les jeux vidéo manquent toujours d’un bon ouvrage de référence. Ou plutôt, manquaient, avant que Steven Poole, critique littéraire au « Guardian » et longtemps chroniqueur pour le magazine spécialisé « Edge », ne publie « Trigger Happy », en 2000. Tour de force de l’auteur : ce huit ans d’âge est toujours d’actualité. Si les jeux cités en exemple à l’époque ont été supplantés (souvent par des suites) ou rendus obsolètes d’un point de vue purement technologique, les derniers-nés ne sont pas fondamentalement différents. Le livre, jamais traduit en français, reste (scandaleusement) confidentiel par ici. On ne saurait trop conseiller de se le procurer en VO, soit auprès d’un libraire anglo-saxon en ligne, soit, depuis peu, sur le blog de l’auteur, qui propose le PDF en téléchargement libre. Son approche est originale : évaluer les jeux vidéo comme on parlerait d’une autre forme d’art et du coup, montrer qu’ils en sont une. Steven Poole, outre la narration, l’esthétique, ou les incohérences du gameplay, entreprend l’analyse sémiotique des jeux vidéo selon la terminologie de Charles Sanders Peirce (icône, index, symbole) pour décrypter ce que le jeu éveille chez les joueurs et conclure que la sémantique n’a guère évolué depuis « Pacman », sorti en 1979. Complet, astucieux, érudit, « Trigger Happy » est aussi une « bible » qui (re)trace l’histoire et dresse une cartographie du jeu vidéo depuis l’invention de Higinbotham. Pour poptronics, Steven Poole est revenu (par mail) sur cette histoire du jeu vidéo. « Trigger Happy » a été publié il y a huit ans. Presque une éternité… Entre autres choses, il appelait à ce que les jeux vidéo soient enfin reconnus par la société et les gamers acceptés. Qu’est-ce qui, selon vous, a changé dans ce domaine ? Pas grand-chose. ;) Les jeux vidéo sont toujours des boucs émissaires désignés pour toutes sortes de malaises sociaux, par des gens qui ne connaissent rien au sujet. Voici la réponse que j’ai faite à une accusation récente (un rapport qui rendait les jeux vidéo responsables de la chute du taux d’alphabétisation des enfants britanniques, ndlr). Une lueur d’espoir est cependant apparue depuis la sortie du livre : l’idée semble se répandre dans le monde de la recherche que les jeux vidéo sont des objets dignes d’études scientifiques. Peut-être cette reconnaissance académique finira-t-elle par transpirer dans le reste du monde. Le « storytelling », la narration dans les jeux vidéo a évolué au cours des dernières années et récemment avec des produits comme « Bioshock ». Que voudriez-vous voir améliorer dans la narration des jeux du futur ? Est-ce que « Bioshock » offre quoi que ce soit en matière de storytelling qu’on n’ait pas déjà vu dans « Half-Life » ou « Half-Life2 » ? Je n’en suis pas convaincu. Je pense que le problème de storytelling n’a toujours pas été résolu et que les problèmes de principe que j’ai évoqués dans « Trigger Happy » et repris dans cet article se posent toujours. Les développeurs devaient avoir à l’esprit un certain sens de la responsabilité, affirmiez-vous en 2000, tout en refusant de croire que les jeux puissent être tenus pour responsables de la violence dans la vie réelle (notamment les tueries dans des lycées aux Etats-Unis et en Europe). Avez-vous changé d’avis ? J’ai changé d’avis sur beaucoup de choses. Je vois la série d’articles que j’ai écrits dans « Edge Magazine » pendant les cinq années qui ont suivi la sortie du livre comme une sorte de « Trigger Happy 2 ». Par exemple, j’ai revu la question de la violence dans les jeux vidéo sur la nature de plus en plus graphique des « simulateurs de meurtres ». Cependant, je reste persuadé que la responsabilité première des développeurs est une responsabilité esthétique. « Tomb Raider » avait votre préférence en terme d’esthétique, de storytelling et de gameplay immersif. Quel est selon vous le jeu le plus exemplaire aujourd’hui ? J’ai beaucoup parlé de « Tomb Raider » parce qu’il était très connu, ce qui me permettait d’illustrer certaines limites courantes dans les jeux : incohérence de fonction, etc. mais aussi ses vertus. Mais le véritable étalon vidéoludique du livre est « The Legend of Zelda : Ocarina of Time », l’un des jeux les plus « parfaits » jamais réalisés.
Je ne sais pas quel jeu je pourrais qualifier de « plus exemplaire » aujourd’hui. Des jeux comme « Assassin’s Creed » ou « Uncharted : Drake’s Fortune » ne sont que des améliorations de « Tomb Raider ». Je préfère citer « Shadow of the Colossus », « Wii Sports » et « The Legend of Zelda : Phantom Hourglass », des jeux relativement récents qui ont fait, à mon avis, des choses extraordinaires en terme de créativité. J’avoue aussi attendre avec une grande impatience « Metal Gear Solid 4 ». En 2004, Steven Poole a présenté sur la BBC un documentaire sur les jeux vidéo, « Trigger Happy : The Irresistible Rise of the Videogame », intéressant malgré un montage assez agaçant (et qui ne dispense pas de lire le livre, au contraire) : Cet article a été publié la première fois le 13 mars 2008.
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