Myspace surfe sur les morts célèbres.
La controverse sur la théorie de l’évolution bat son plein sur le Myspace de Darwin. © DR
< 03'08'09 >
Pop’surf de la mort

(Pop’archive). Il n’y a pas que les chrysanthèmes dans la vie des morts le 1er novembre... La preuve, ils le sont beaucoup moins (morts) dès lors qu’on surfe sur Myspace. Le site communautaire affiche pourtant haut et fort qu’il permet à chacun de rencontrer les amis de ses amis. N’empêche, on trouve par kilotonnes les pages soi-disant perso de bien des disparus. Beaucoup d’émanations de maisons de disques (le marché des rééditions explose) et de maisons de production, mais aussi beaucoup de pages créées par des anonymes. Parodiques ou biographiques, à charge ou à décharge, truffées de sons, de vidéos ou débordant de texte et photos, les pages des morts sont, elles, très actives.

Evidemment, beaucoup sont liées à la musique et au cinéma (depuis Keaton, en passant par Cassavetes et Kubrick, qui affichent de très chics carnets d’adresse). Les plus célèbres ont même plusieurs profils (on compte une douzaine d’Audrey Hepburn !). Mais le plus étonnant, c’est, au détour d’un lien, de voir resurgir Marcel Duchamp, Mata Hari, Divine ou Sigmund Freud ! Un grand carambolage : la journaliste russe assassinée Anna Politovskaia voisine avec Baudelaire, Nick Drake, Georges Bataille ou Joseph Beuys ; Burroughs retrouve Ginsberg et Hunter S. Thompson, et Marie-Antoinette est enfin devenue copine avec Robespierre… Non décidément, tout le monde n’est pas encore sur Facebook. Pop’surf dans ce monde de disparus.

Jah Power

Alors, qui est le musicien mort le plus populaire de Myspace ? Miles Davis ? Frehel ? Sun Ra ? Gainsbourg ? Astor Piazzola ? Yma Sumac ? Léo Ferré ? Sans surprise, Bob Marley bat tout le monde à plate couture. Avec ses 380 000 amis, son Myspace dépasse de loin celui des plus célèbres disparus. Jim Morrison, Brian Jones, Kurt Cobain, Sid Vicious ou James Brown sont sévèrement distancés. Seuls Jimi Hendrix et Jeff Buckley ( !) parviennent à suivre, avec plus de 120 000 amis, quand Elvis plafonne à 56 000 et John Lennon à 30 000. Mais, même dans le virtuel, Lennon a la satisfaction d’être plus célèbre que Jesus (12 000 petits amis). Quant à Zeus, il est carrément dans les choux, comme la vierge Marie d’ailleurs : la pauvresse n’a plus que 116 amis. Les temps changent comme disait l’autre.

Surf thématique : le blues originel via les liens des pages de Blind Lemon Jefferson, Robert Johnson, Muddy Waters ou Howlin’ Wolf.

Muddy Waters - « Rollin’ Stone » :

Howlin’ Wolf - « Evil (is going on) » :


Myspace ou ne pas être ?

Forcément, dès qu’on parle de mort, Shakespeare et Nietzsche ne sont pas loin (ils sont même nombreux, les deux ont plusieurs pages à leurs noms !). Dans les amis de l’auteur de « l’Antechrist », une flopée de chats, mais aussi Martin (ou Marty) Heidegger et Darwin (la virulence des commentaires sur sa page ôte les derniers doutes sur la vigueur du mouvement créationniste aux Etats-Unis...). Les nerds américains en rupture scolaire peuvent sans peine s’initier à la philo facile : on trouve ici des penseurs par dizaines. Des Grecs (Héraclite, Socrate, Platon...), des Allemands (Kant, Wittgenstein, Adorno...), et ces Français si inaudibles ici par les temps qui courent (Sartre, Foucault, Deleuze, Derrida, Lacan, Debord). Les pages ont des allures de cours express (dix lignes…) ou débitent du concept au kilomètre, pas d’entre-deux. Seul Bourdieu (c’est un comble !) associe textes et vidéos…

Surf thématique : la philosophie revue par Myspace, depuis la page de Schopenhauer.

Pierre Bourdieu sur la télévision :

Le Myspace rouge

Trop noire la mort ? Passons au rouge. En bon camarade, Lénine est resté copain avec tous ses successeurs. On peut passer en revue tous les leaders soviétiques (même Constantin Tchernenko a ouvert une page !) en se délectant des commentaires d’un vide sidéral (« putain Lénine, mec, t’es rock », « hé Staline, ça fait quoi d’avoir de si grandes moustaches ? »). Ceux pour qui Myspace est d’abord synonyme de musique s’imposeront un détour chez Trotsky (pour « l’Internationale ») ou Engels, qui les accueillera avec les charmants chœurs de l’Armée rouge. Comme bon nombre d’ados semblent le croire encore en vie, Marx se sent, lui, obligé de faire cette précision liminaire : « I’m not Karl Marx, he’s dead. » Merci pour eux.

Surf thématique : les mouvements américains dénonçant la guerre en Irak, tous amis d’Ho Chi Minh histoire d’hérisser un peu plus les faucons.

Mario Savio, l’un des leaders du Free Speech Movement de Berkeley, parle de la machine (1964) :

Les espaces morts

On rigole, on rigole, mais la mort existe bel et bien sur Myspace. Depuis quelques mois, le site My Death Space recense les « Myspaciens » passés à trépas sur une carte interactive. Et la polémique enfle dans l’Amérique politiquement correcte : faut-il ou non supprimer leurs pages ? Les garder comme amis ? Que faire de leurs traces ? Un débat comme seule l’époque sait en créer. Et qui doit bien faire ricaner la mort, qui est évidemment sur Myspace (« ras-le-bol des morts, je veux parler aux vivants »). Pour ceux que ça intéresse, elle vit entre la Californie et le Vatican, et ne compte parmi ses amis ni fleurs ni couronnes. Mais un nombre effarant de bimbos. Mais c’est un autre surf…

Surf thématique : la Factory et ses superstars via Nico, Andy Warhol et Edie Sedgwick.

Le Velvet Underground, « Venus in Furs », joué à la Factory, avec Gérard Malanga au fouet :

Andy Wahrol, début des années 80 :

Cet article a été publié la première fois le 1er novembre 2007.

matthieu recarte 

votre email :

email du destinataire :

message :