36ème édition du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, du 29/01 au 1er/02. La manifestation fait sa place au manga, mais pas encore suffisamment au manwha, son équivalent coréen. Poptronics y est allé de sa contre-expertise avec Philippe Dumez, le blogueur « vieux jeu » d’Iwannabeyourblog et scénariste de bande dessinée à ses heures.
Une planche de « Catsby », une série animalière de Doha en six volumes, consacrée à la jeunesse urbaine. © DR
< 13'08'09 >
Angoulême, on est plus manwha que toi...
(Pop’archive). Depuis que Mizuki a remporté il y a deux ans le prix du meilleur album avec « NonNonbâ », le manga n’a jamais été aussi présent à Angoulême qu’en cette 36ème édition du festival international de la bande dessinée : une exposition est consacrée à Shigeru Mizuki ainsi qu’à la BD coréenne indé (Sai Comics). Le Japon est à l’honneur, puisqu’un immeuble entier, le Manga Building, est dédié à sa production nationale et que « Ponyo sur la falaise », le nouveau film d’animation d’Hayao Miyazaki y sera présenté en avant-première française... Pourtant, sur les 56 albums de la sélection officielle 2009, six seulement proviennent de cette galaxie. Impossible de justifier l’absence de Doha et Kang Full, deux symboles de l’innovation venue de la bande dessinée coréenne ou manwha, pour les amateurs, qui souffre encore de reconnaissance critique. Pourtant, ça n’est pas faute d’être disponible en France : la collection Hanguk créée par Casterman il y a trois ans, est dédiée à ce genre qui tend à effacer les frontières entre le cinéma, les comics et les séries américaines. Prépubliés sur Internet, et parfois calibrés au format des écrans de téléphones portables (la majeure partie des Coréens sont déjà passés à la 3G), les manwhas révolutionnent doucement le monde de l’édition dans un pays où les productions numériques représentent plus de 25% du marché de la bande dessinée, comme le rappelle Stéphane Jarno dans « Télérama ». La prépublication en ligne ne se substitue pas à l’édition : elle la précède, tout en lui offrant une ouverture vers un autre public. Même si elle impose aux créateurs des rythmes de production à la limite du stakhanovisme : Doha explique dans l’entretien qui complète la parution de son chef d’œuvre « Romance Killer » qu’il a dû livrer deux épisodes de 30 pages par semaine ( !!) pour satisfaire l’appétit de ses fans. Le plus étonnant, c’est que cette vitesse d’exécution ne se ressent absolument pas à la lecture. Conçu entièrement par ordinateur, « Romance Killer » (2 tomes) étonne par sa mise en page cinématographique (défilement et répétition des cases) et la modernité de son dessin, qui n’est pas sans rappeler Jamie Hewlett (Tank Girl, Gorillaz). C’est un très grand polar qui cache son jeu, confrontant le lecteur aux angoisses métaphysiques d’un ex-tueur à gages cherchant à remettre dans le droit chemin une lycéenne fraîchement convertie à la prostitution et meilleure amie de sa fille. Ou plutôt de la fille de sa femme qu’il était venue exécuter froidement... mais qu’il a fini par épouser. Evidemment, notre homme de main retraité est trop occupé par sa protégée pour voir le piège se refermer sur lui. Au terme des 800 pages, le génie de Doha se fait évidence, d’autant qu’il ne se cantonne pas à un seul genre. Juste avant « Romance Killer », il entamait une trilogie consacrée à la jeunesse urbaine avec « Catsby » (6 tomes), une série animalière beaucoup moins innocente que son graphisme le laisse paraître : à la manière d’un Lewis Trondheim (impossible de ne pas penser aux « Formidables aventures de Lapinot », qu’il n’a pourtant vraisemblablement jamais lues), il décortique avec mordant la mécanique des rapports amoureux. Ceux de deux célibataires, l’un plaqué par sa maîtresse au bout de six ans, l’autre débauché par un mari impuissant pour faire la cour à sa femme. Si le graphisme que Doha adopte pour « Catsby » est beaucoup moins réaliste que celui de « Romance Killer », son approche très visuelle de la narration est identique. Idiots, fantômes et catastrophe Chez Kang Full, c’est la même faculté à passer avec une grande virtuosité d’un registre à l’autre qu’on retrouve. Cet auteur prolixe de 35 ans a déjà signé un drame dostoïevskien (« L’Idiot », 2 tomes), une histoire de fantômes dans la tradition du cinéma d’épouvante japonais (« Appartement », 2 tomes) et une saga autour de citoyens dotés de pouvoirs surnaturels visant à prévenir une catastrophe imminente qui n’est pas sans rappeler la série télé « Heroes » (« Timing », 3 tomes). Pour pouvoir être lu sur les téléphones portables, Kang Full a réorganisé ses strips de manière verticale. Contrairement à Doha, son dessin ne charme pas immédiatement : son minimalisme qui peut être confondu avec de l’amateurisme dit pourtant l’essentiel. Et sert son intarissable appétit feuilletonesque. Un domaine dont il connaît le moindre rouage et où il fait autorité. Au moins en Corée : après que deux de ses œuvres ont été portées au cinéma, il planche aujourd’hui sur le script de la suite de « The Host », dont les événements se produiront trois ans avant le premier film. Kang Full continue à fournir des séries en ligne (dont « Innocent », à paraître chez Casterman), mais aussi des strips politiques, qu’il publie dans un quotidien coréen comme dans des publications syndicales. Si le manwha ne bénéficie pas encore d’une exposition médiatique comparable à celle de son cousin japonais, il est un symbole d’ouverture : Marjane Satrapi, David B., Ludovic Debeurme ou le Norvégien Jason sont aujourd’hui traduits et publiés en Corée, l’un des premiers pays producteurs de bande dessinée. Cet article a été publié la première fois le 28 janvier 2009.
< 1 >
commentaire
écrit le < 29'01'09 > par <
migorneau VHo bic.fr
>
Pour l’anecdote, il y a eu une belle expo de bd coréenne en 2003 à Angoulême (ensuite il n’y a plus eu de pays invité d’honneur à part Groland). On y découvrait notamment le strip pour téléphone portable, furieusement développé là-bas. Les auteurs présentés étaient pour la plupart, malheureusement, des illustrateurs élégants au style très personnel à la manière des "indés" d’ici ou des étudiants en école d’art et bd de St Luc ou d’Angoulême, c’est à dire quelque chose de joli à regarder mais pas forcément les récits puissants que produit la bd populaire : lire et regarder sont deux choses différentes. C’était tout de même intéressant.
Clermont 2020, le court du jour 6 : « Metamorphosis » ou le suicide « heureux »
Japan Expo, l’arme fatale de la pop culture nippone L’icône Susan Kare Sur les traces du point G dans « Mon Lapin Quotidien » (2018) Angoulême trace son chemin de traverse rock « Miyazaki, c’est devenu du Disney » |