Aperçu des sorties d’albums à venir au premier trimestre (et au-delà). Entre nouveautés alléchantes et vieilles gloires fatiguées, électricité statique et électronique en mouvement, guitares fureteuses et pop en apesanteur.
Ça va ressembler à quoi la bande-son de l’apocalypse ? Alors que les ventes de musique (physique et numérique) repartent à la hausse aux Etats-Unis pour la première fois depuis sept ans, ça ressemble… à l’apocalypse. Les grosses machines sont en vue dès le premier trimestre (nouveaux albums de Bruce Springsteen, Madonna, Paul McCartney, et même Ringo Starr !), et plus on approchera du 21/12/12, plus on subira la grosse artillerie, avec de redoutables U2 (« Songs Of Ascent », les chevilles n’ont toujours pas désenflé) et Muse (en octobre) annoncés. Bref, il sera urgent de prendre la tangente pour ne pas mourir d’ennui ou de colère. Petit guide de survie musicale pour 2012.
Nos favoris sortent du nid
On attaque avec quelques artistes bien connus des fidèles de Poptronics. Liars commence à distiller images et sons de son sixième album. On y voit le batteur jouer sur un sac plastique, des pédales reliées à une plante ou un verre d’eau, et les bruyants extraits sonores laissent à penser que le trio américain pourrait revenir à ses premières amours, après quelques années d’explorations synthétiques.
Dans un registre plus doucereux, Grizzly Bear, silencieux depuis trois ans, est lui aussi en studio pour donner suite à l’estimé « Veckatimest ». Pas de date de sortie pour l’instant pour ces deux chouchous maison.
Yeasayer en revanche promet deux albums pour le printemps, l’un « classique » avec des titres autour de trois minutes (« Un disque de R&B dément, comme si tu écoutais un album d’Aaliyah à l’envers et au ralenti. Ou “Lodger” de Bowie, deux influences majeures. »), l’autre plus proche d’une BO et destiné à une distribution en ligne.
Après la compilation judicieusement baptisée « We are the best » à l’automne dernier, The Chap revient avec… « We are nobody » (février). Un album que nos hurluberlus favoris ont voulu, pour changer, « dénué d’ironie », mais qui n’est pas dénué de talent, véritable leçon de pop synthétique. Décidément, l’un des groupes les plus passionnants du moment.
Classique serpent de mer, comme chaque année, certains parient sur le retour d’Aphex Twin (qui n’a rien sorti sous son nom depuis « Druqs » en 2001) et ont cru le retrouver derrière l’alias Steinvord, officiellement un Barcelonais de 18 ans signé sur son label Rephlex.
Animal Collective a lui annoncé au début du mois son entrée en studio (disque a priori pour novembre) avec une bien curieuse vidéo retraçant l’enregistrement de « Strawberry Jam » (2004), collage de quelques secondes filmées chaque minute pendant tout le travail en studio.
Animal Collective - « Strawberry Time Lapse », réal. Scott Colburn (2012) :
Quelques « gros » noms font déjà parler d’eux au rayon électronique indé : trois ans après « Silence », Robert Henke réactive Monolake avec « Ghosts » (février) alors que Leila parle de « U and I » chez Warp (février) et Lindstrøm prend « Six Cups of Rebel ». Pendant ce temps-là, Diplo et Switch enfonceront le clou mainstream avec un deuxième album de leur association lancée Major Lazer.
A noter enfin, la réactivation de Dirty Three par Warren Ellis, alter ego de Nick Cave dans le défunt Grinderman, sept ans après l’inoubliable « Cinder » (« Toward the Low Sun », fin février), et la parution du « Bat Chain Puller » de Captain Beefheart, album 1976 jamais officiellement sorti pour de sombres histoires d’argent (mais disponible en bootleg depuis trente ans), en vente exclusivement en ligne dans une belle édition pleine de compléments.
Guitares à l’expérimental
Ça se bouscule sur le front des guitares innovantes. Repéré à la faveur de son premier album, « Infinite Love », il y a deux ans, l’ex-Ponytail Dustin Wong sera de retour avec son math-rock brillant (« Dreams Say, View Create, Shadow Leads », fin février) sur Thrill Jockey. L’occasion de signaler les vingt ans du label chicagoan, qui annonce un programme chargé et plein d’inconnus pour 2012. Alors que la rumeur enfle autour de Portishead (en studio pour un nouvel album ?), Geoff Barrow a trouvé le temps de boucler le deuxième album de son projet parallèle Beak (« Eyrie », avril).
Ce début 2012 sera surtout riche en guitares suramplifiées. Si la rumeur persistante autour d’un album de Swans n’est pas encore confirmée, le programme du trimestre est déjà chargé : un nouveau Earth (février), un album solo de Lee Ranaldo (« Between the Times & the Tides », mars), alors que l’avenir de Sonic Youth est toujours incertain, les revenants progressifs The Mars Volta (« Noctourniquet », mars) et les très libres (et très perchés) Black Dice avec un « Mr Impossible » (avril) qui s’annonce tellurique.
Un peu de sang neuf
Traditionnellement (et curieusement), le premier trimestre est assez pauvre en découvertes. Pour prendre le pouls de 2012, on vous conseille de jeter une oreille sur Howler, qui reprend les choses où les Strokes les avaient laissées sur « Is this it », dans une veine plus garage. Faute de combattants, le premier album de ces Américains pourrait bien cartonner (« America give up », disponible).
Mais surprise, après des années d’hégémonie américaine, l’Angleterre rock se réveille. Django Django, dont on a déjà parlé sur Poptronics, sort enfin son premier album (fin janvier) après trois ans de singles aussi personnels que marquants. Django Django n’a rien à voir avec le jazz manouche ou Duran Duran ; il œuvre au contraire dans la plus pure filiation du Beta Band. Le truc de ces Anglais, ce serait en effet d’explorer les marges pop, expérimentant les associations hardies pour convier Can, les Beach Boys ou Bo Diddley à danser sur Devo et Hot Chip. C’est frais et malin, hors cadre et facile d’accès, vous ne pourrez plus vous en passer.
A suivre aussi, la révélation des dernières Transmusicales, Breton. Référence à André, vu que le groupe s’est longtemps revendiqué avant tout comme un collectif d’artistes visuels et n’utilisait la musique que comme support de ses vidéos. Mais l’intérêt grandissant en ligne, les concerts s’enchaînant, les Anglais ont fait comme tout le monde et enregistré un album (« Other People’s Problems », mars). Leur hip-hop électronique s’y fait un peu plus sage que sur leurs premiers essais, mais ce n’est pas une raison pour les prendre en grippe !
Breton - « Edward the Confessor », réal. Niall O’Brien et bretonLABS (2011) :
La nostalgie camarade…
Est-ce l’effet conjugué de la crise et du peer-to-peer ? Les reformations ne cessent de se multiplier et les musiciens ne parviennent plus à raccrocher. Et pour un génie, Leonard Cohen, 77 ans au compteur, qui sort de sept ans et demi de silence avec un album ironiquement nommé « Old Ideas » (fin janvier), le douzième en quarante-cinq ans (au moins lui parle quand il a des choses à dire !), combien de Lionel Richie ou Bonnie Raitt (si, si…) sortis du formol pour hypothétiquement ramasser la monnaie et squatter les antennes ? A noter aussi, heureusement essentiellement circonscrit aux Etats-Unis pour l’instant, le retour à l’avant-scène de quelques spécimens à cheveux longs et guitares pointues : Van Halen, reformé avec David Lee Roth, Black Sabbath, avec Ozzy Osborne, remis en selle par la télé réalité, Guns N’Roses voire… Kiss !
La tendance 2012 est aux derniers feux du revival new wave/synth pop. In extremis, Dead Can Dance annonce nouvel album et tournée quand Boy George, sans doute en manque de cash, relance Culture Club sur scène trente ans plus tard… Aux nostalgiques qui voudraient se sevrer, on conseillera de jeter une oreille sur VCMG, soit la reconstitution du duo agissant des débuts de Depeche Mode, Vince Clarke (Yazoo, Erasure) et Martin L. Gore, avec un « SSSS » promis plus minimal que pop (début mars).
VCMG - « Spock » (2011) :
S’il semblerait qu’on en ait enfin fini avec les années 80, c’est pour faire place mathématiquement… aux années 90. Un exemple parmi cent : Underworld sera de la partie pour la cérémonie d’ouverture des JO à Londres, et en profite pour sortir deux CD anthologiques.
C’est au rayon (chargé) du rock indie-grunge-shoegazing (avant demain, l’acid jazz revisité ?!) que le phénomène est le plus spectaculaire. Outre une flopée de jeunes groupes sous influence (voir par exemple la nouvelle signature Warp, My Best Fiend, album en février), 2012 signe le retour des ex-stars « grunge », hormis Nirvana, excusé, mais dont sort un énième album live. On attend des disques de The Offspring, Soundgarden (treize ans qu’on y échappait), The Lemonheads, et même Alice in Chains, reformé avec un nouveau chanteur (celui de l’époque… est mort entre-temps !). Si deux reformations nous font lever un sourcil nostalgique, celle des rares Mazzy Star, après un beau single en octobre dernier, et de Garbage (un Olympia en mai, un album promis dans l’année), c’est pour mieux faire oublier la réapparition de No Doubt et des Cranberries… Une (bonne) raison supplémentaire d’éteindre télés et radios en 2012 !
Plus marrante, la collision au rayon métal-industriel-qui-fait-peur. Le trio de choc Ministry, en sommeil depuis des lustres, tente de rebondir (mars), malgré un sérieux coup de vieux et les poids lourds Marilyn Manson et Trent Reznor sur les rangs (mais sans dates de sorties), ce dernier attendu sur deux fronts : le premier album de son projet How To Destroy Angels et la reformation de Nine Inch Nails.
Mais Throbbing Gristle mettra peut-être tout le monde d’accord avec « Desertshore », réinterprétation du classique de Nico dont les sessions étaient parues il y a quelques années en coffret, que le groupe a promis de finaliser cette année. En attendant, Chris Carter et Cosey Fanni Tutti se sont associés à Nik Void, de Factory Floor, sous le nom (logique) de Carter Tutti Void pour « Transverse » (fin mars), captation de leur unique concert ultraselect donné au Roundhouse de Londres l’année dernière. Bizarre, bruyant, surprenant : tout ce qu’on aime !
Pop will eat itself
« French is the new black ! » Surprise : les Français affolent les Anglo-Saxons en ce début d’année. Avant Phoenix, dont on attend courant 2012 le successeur au millionnaire « Wolfgang Amadeus Phoenix », les autres têtes de pont de l’électronique hexagonale font parler d’elles. Soit Air, avec sa BO augmentée (février) du « Voyage dans la lune » de Georges Méliès (la version colorisée d’époque et restaurée était l’événement cinéphile de la fin 2011), et Sébastien Tellier, dont le « Pépito bleu » n’en finit plus de faire s’exciter les claviers et, comme à chaque sortie du barbu des quartiers chic, de diviser (« My God is blue », fin mars).
Sébastien Tellier - « Pépito bleu », réal. Sanghon Kim et Mathieu Tonetti (2012) :
Sur le retour aussi, quelques ex-wonderboys, dont les dernières sorties avaient déçu jusqu’à leurs fans : MGMT, Franz Ferdinand, Vampire Weekend ou encore Bloc Party qui a senti le vent du boulet l’année dernière. A noter encore : les tristes Killers et autres Chairlift seront eux aussi de la partie, comme les Ting Tings, en panique depuis quelques jours alors que leur « Sounds from Nowheresville » circule déjà en ligne.
On surveillera plutôt la collaboration Howard Shore/Metric sur la BO du prochain Cronenberg (« Cosmopolis », adapté de Don DeLillo), avant un nouvel album, sans doute à l’automne, pour les Canadiens. Ou la résurrection inattendue des stars teenage The XX voire le troisième Crystal Castles après un écart très Mylène Farmer qui nous avait laissés perplexes.
Mais ce qu’on attend avec un mélange de délectation et d’effroi, c’est le crash programmé (on vous avait prévenu) de la poupée Lana Del Rey, bombardée star planétaire en juin par les blogs branchés et qui sera brûlée en place publique dès la semaine prochaine par les mêmes. En cause, son tout à fait complaisant « premier » album, le bien nommé « Born To Die » (30/01). On préférera abuser du minimalisme de Prinzhorn Dance School, de sortie le même jour sur DFA.
Histoire aussi d’oublier que 2012 sera une année sans la tête de pont de DFA justement, LCD Soundsystem, dont on retrouvera le dernier concert au Madison Square Garden en DVD, cette dernière journée de vie du groupe faisant l’objet d’un film actuellement présenté à Sundance. So long !
Bande annonce de « Shut up and play », réal. Dylan Southern et Will Lovelace (2012) :