A l’ouverture de Glasnot Dead à Nantes, devant les balançoires à matriochkas. © Guillaume Joly
< 24'10'08 >
A Nantes, les graffeurs voient rouge
(Nantes, envoyée spéciale)
Ils sont nés après le Mur de Berlin, et même après la Glasnost et ce dégel historique qui a bouleversé l’histoire, la Guerre froide et toutes ces choses. Ils ont moins de 25 ans, sont issus de la culture du graffiti, pochoiristes, graphistes, illustrateurs, réunis dans une association nantaise qui propose aussi bien de repeindre votre camion que d’organiser des expositions. Et précisément, « Glasnost Dead » est une première exposition collective, sise à Pol’N, un de ces lieux simili-alternatifs dont Nantes a le secret (une ancienne fabrique, un lieu commun partagé par de multiples associations culturelles qui l’occupent et parfois l’investissent pour des programmations variées). Et « Glasnost Dead » est une heureuse surprise dans cet univers graphico-graffitiste qui a toujours un peu de mal, même si le marché de l’art les encense enfin, à produire du sens à l’intérieur de murs que les graffeurs préfèrent généralement recouvrir clandestinement.
Glasnost et communisme remixés
C’est une réussite parce que l’énergie de la rue, les membres du collectif nantais 100pression (Kazy, The Postman Quartet, Ringar72 et The Blind) l’ont gardée intacte dans cette fabrique faussement et artificiellement vieillie, pour lui donner cette patine propre aux lieux chargés d’histoire. Comme ils ont encore cette fraîcheur qui leur permet de s’attaquer à une iconographie pourtant chargée, lourde d’arrière-pensées et de propagande. Leur âge les aide à dépasser les clichés et leur talent mis en commun leur donne ce soupçon d’irrévérence qui remixe Glasnost et communisme dans un même ensemble, Russie éternelle et Tchernobyl, datchas et matriochkas, AK47 et Kalachnikov.
D’où leur vient cette énergie ? D’un voyage septentrional, à traverser la Pologne et la Russie, à prendre le Transsibérien et à découvrir le poids des signes et symboles rouges : la Kalach, les uniformes de l’Armée rouge bradés au bord des routes, la Russie déglinguée en pleine déliquescence publique qui côtoie la permanence d’une culture graphique qui puise ses sources notamment dans la beauté de son écriture en caractères cyrilliques. Et les amis graffitistes nantais livrent leur vision fantasmatique, naïve, historiquement idéale, en s’accompagnant et invitant une trentaine d’artistes graphistes ou/et graffitistes comme eux, autour d’un projet « pied de nez aux toyz », comme le rappelle Armand Brard, le coordinateur de Pol’N, qui consiste à rhabiller graphiquement les matriochkas, ces poupées russes en bois peint qui s’emboîtent les unes dans les autres.
L’ours et les poupées
Si d’entrée, le visiteur est accueilli par l’ours effrayant et géant en papier mâché, recouvert de caractères cyrilliques, conçu par la Nantaise Marion Jdanov, l’installation des matriochkas, sur des planchettes façon balançoire, n’a rien d’effrayant. Au contraire, malgré les graphismes parfois gore, hardcore, et plutôt tranchés dans l’ensemble (The Milk Lady, Rocky, Mioch, Pulko Lysian, Les Frères Ripoulain…) ces matriochkas revisitées (l’une d’elles est en Terminator, d’autres affublées de squelettes entre Bibendum et Barbapapa) sont réjouissantes. Surtout, de salle en salle, de pochoirs en peinture, de reconstitution de datcha (avec photos prise au long du parcours par Guillaume Jolly) en affiche pour « excursions à l’AK47 » (une reprise du réel, pour le coup), c’est le collectif qui se met en scène. Les créations de The Blind (l’un des plus talentueux sans conteste, qui colle ses boules blanches en braille sur les murs des édifices publics, avec un commentaire acide, type « Vu et revu » au Trocadéro face à la Tour Eiffel) chevauchent celles de Kazy. Dans cette « Russian Woman » géante et renversée, signée Ryngar 72, The Postman Quartet, Gratos, Kazy et The Blind, difficile de distinguer qui a fait quoi.
Du collectif, pas du collectivisme
La variété des styles abordés (typo, graffiti, affiches, pochoirs, sérigraphie, photo, films d’animation russes de l’époque soviétique…) participe également de la réussite de l’ensemble. Comme si, sans verser dans l’idéologie communiste, nos jeunes artistes en avaient conservé l’utopie pas forcément dépassée d’une certaine solidarité. Du collectif, pas du collectivisme. Comme l’annonce le programme : « Ensemble liquidons octobre 2008 ! Ensemble défendons l’intégrité territoriale de nos imaginaires ! Réappropriation des moyens d’expression, prenons les arts, les armes et l’argent où ils sont ».
L’exposition devrait tourner à Paris et ailleurs. Encore une bonne nouvelle… Et parce que ces graffeurs nantais ont un vrai talent, ils ont aussi imaginé une programmation satellite, de cinéma (« Le Tombeau d’Alexandre », 1993, le film de Chris Marker consacré au cinéaste russe Alexandre Medvedkine), de concerts (récital au piano et voix de musique russe), d’ateliers de sérigraphie, ou de grand bal masqué avec orchestre tzigane. Que du bon.
annick rivoire
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