Au huitième jour de l’expédition polaire d’Agnès de Cayeux et Maëlla Mickaëlle, leur carnet de bord low-tech quotidien pour Poptronics, mélange d’emprunts au film VR qu’elles réalisent au Groenland, « 360 notes prises au Nord », et d’un reportage à la Game Boy, s’attache à une chimère offerte par la nature arctique, le lichen.

Jour 8, Carnet de bord du cercle polaire, Lichen

(liminaires)

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Je pensais que le lichen était un organisme à part entière. Je pensais que le lichen développait ses propres espèces. Qu’il avait un nom unique. Je pensais que le lichen pouvait nous faire rêver ainsi.

Je découvre aujourd’hui que le lichen est un champignon connecté à une algue, ou inversement. Et ce qui est passionnant, c’est que le champignon est infidèle. Il s’accouple avec une première algue. Ils vivent ensemble, accrochés l’un à l’autre, liés, connectés. Puis l’algue dessèche. Elle meurt, assoiffée. Alors, l’organisme chimérique se livre de tendresse à une nouvelle algue. Et tout recommence.

Il paraît même que le champignon ressent des vibrations lors de sa rencontre avec le nouvel organisme. Nous pouvons capter ces données très précisément, cette sensation vibrante. Je me demande si l’on étudie les informations de l’algue délaissée, assoiffée et mourante. Je me demande si le champignon peut ressentir la tristesse de l’algue. Je me demande si les algues regrettent, et à quoi rêvent les algues. Je me demande si le champignon oublie l’algue. Je me demande quel est le principe de liberté chez ces organismes.

Voilà ce à quoi je pense, lorsque je porte mon regard sur ce rocher.

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Sais-tu à quoi l’on reconnaît les différentes espèces de lichen ?

À leurs lésions, leurs nécroses ou leurs malformations. C’est troublant, non ? Puis, tu savais que le lichen était une chimère ? Une symbiose entre algues et champignons. Les unes parasitant les autres. Et inversement. Il paraît aussi que certaines espèces de champignons habitent clandestinement la chimère, se cachant de leurs partenaires algaux, piégés dans les affres des filaments et ceci durant de longues décennies. Ni la pupille humaine, ni celle du microscope ne peuvent percevoir ceci. C’est au séquençage à haut débit qu’il s’agit de se remettre pour détecter l’ADN des algues. Je me demande si les algues regrettent, et à quoi rêvent les algues.

Voilà ce à quoi je pense, lorsque je porte mon regard sur ce rocher.

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Je ne m’étais jamais intéressée à cet organisme ancestral, le lichen. D’ailleurs, ce n’est pas un organisme à part entière. C’est une chimère. Longtemps, nous avons pris le lichen pour une espèce de mousse. Nous nous sommes trompés des milliers d’années. Ce n’est pas simple d’observer la chimère. De distinguer l’algue du champignon, de comprendre ce qui les unie, d’imaginer le besoin de l’une à l’autre. Et inversement. Je me demande à quoi rêvent les algues. Je me demande quel est le principe de liberté chez ces organismes. Je me pose la question de savoir si je préfèrerais être l’algue ou le champignon. Qui colonise l’autre ?

Voilà ce à quoi je pense, lorsque je porte mon regard sur ce rocher.

(rêveries)

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La distinction des racines, de la tige et des feuilles est à présent achevée.

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D’innombrables découpures, une multitude de petites îles, aux contours fortement irréguliers.

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Sorte de dégénérés, aux corps aplatis, dont la cuirasse est composée de plaques ornées de fines lignes.

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Leurs crânes offrent, par la disposition générale des éléments, d’étroites analogies avec quelques crossoptérygiens.

(Re)lire les précédents épisodes du Carnet de bord du cercle polaire : épisode 1, épisode 2, épisode 3, épisode 4, épisode 5, épisode 6, épisode 7.

agnès de cayeux