"Massacre", Pierre Alferi, 2012. Le poète visuel est l’un des invités du projet Octopus, à voir en ligne et à suivre à Montpellier les 26 et 27 novembre 2012. © DR
< 24'11'12 >
Pieuvres sur la ville : le projet Octopus à Montpellier
C’est un drôle de poulpe qui prolifère sur la planisphère du « projet Octopus ». De bien jolies petites pieuvres dénommées « islandic octopus » par leur auteur, Alkemia (illustrateur sous licence Creative Commons), accompagnent cette exposition en ligne à la manière des chaînes d’amitié d’antan : je te passe une invite, tu veux bien être mon ami ?
Projet Octopus, pour une exposition en ligne :
Afficher Projet Octopus sur une carte plus grande.
Ce projet a été concocté au creux de l’été 2012 par l’artiste Nicolas Frespech et la théoricienne des médias Madeleine Aktypi, avec la complicité de Poptronics (où le poulpe est une figure quasi imposée...). Pour accompagner, anticiper et nourrir une manifestation organisée à Montpellier, pour l’Ecole des beaux-arts, les 26 et 27 novembre 2012.
A l’occasion, les étudiants sont exemptés de cours pour assister, au Centre Rabelais de Montpellier, aux conférences d’une très jolie brochette d’artistes, performeurs, spécialistes du net-art, poètes et historiques, le tout autour d’un intitulé suffisamment large pour qu’on puisse y inscrire tout un tas de questions actuelles : « Formes et processus des pratiques artistiques dans la culture numérique ».
Côté artistes, le panorama est impec : l’art contemporain sériel et pataphysique d’un Claude Closky confrontera la vision digitale d’un Miltos Manetas, le fantaisiste (et fantastique, on dira difficilement le contraire chez poptronics...) Nicolas Frespech livrera sa « petite histoire personnelle du net art » tandis que Pierre Alferi causera « Circonférence du poulpe ». On s’en régale d’avance !
Numérique et culture de masse
Côté critique, c’est du lourd, hors l’intervention signée Poptronics sur l’art à l’ère du DiY : on passera de l’adaptation dans l’art (Elsa Boyer, philosophe, écrivain) à la couleur chez Antonioni (Dork Zabunyan, philosophe du cinéma), pour glisser vers les formes et processus chez le dessinateur Chris Ware (Paul Sztulman, historien de l’art) ou plonger dans l’histoire des rapports technologie/danse (Marcella Lista, historienne de l’art)… Des points de vue éclectiques et éclatés, fractionnés et géographiquement divers, sur un monde de l’art lui-même en pleine atomisation. On espère bien que les débats éclairent sur les enjeux contemporains de la culture numérique de masse.
La multiplication des petites poulpes à la surface de notre Google Map, même si elle dessine un paysage hélas bien trop occidentalo-centré, constitue une première réponse. Le principe de fonctionnement privilégié, léger comme un projet online, remet en effet en question, à sa modeste façon, les principes de curation généralement pratiqués : le commissaire est soit un critique d’art, soit un artiste, soit encore un collectif d’artistes qui décident ensemble de la ligne artistique défendue, jamais un cercle indéfini de micro-curateurs…
« La pieuvre est l’animal visuel par excellence : munie d’une multitude de neurones distribués tout au long de ses huit tentacules, elle prêche la décentralisation de la pensée. » Madeleine Aktypi
A l’exception de la vague estivale d’invitations initiales (postées par Nicolas Frespech, Madeleine Aktypi et l’auteur de ces lignes), chaque participant détermine qui sera le prochain invité, contribuant lui-même à la prolifération de l’exposition. Ce commissariat externalisé, partagé, distribué, dessine des formes elles aussi éclectiques et diverses.
Effets boomerang, impasse et repasse
Certains ont choisi de jouer du dispositif, c’est l’effet « boomerang » de Jodi et Jim Punk (qui bouclent sur eux-mêmes). D’autres invitent sans succès : DinahBird au fondateur d’Ubu.com, Kenneth Goldsmith, Antonin Fourneau à Etienne Cliquet, qui décline : « L’idée d’exposition sur Internet ne m’intéresse pas vraiment ». Certains pointent vers une œuvre historique (Pierre Belouin), d’autres préfèrent miser sur l’avenir (David Guez)… Les invitations sont toujours en cours, et la date de péremption n’est pas indiquée. Mouchette, Shu Lea Cheang, Jodi, Albertine Meunier,
Systaime, Pierre-Nicolas Ledoux, Anne Laplantine… Ils sont près de 70 à avoir déjà répondu, parmi eux une majorité d’artistes, dont un bon paquet que Poptronics aime.
A sa façon, le projet Octopus (qui assume également l’allusion à un certain James Bond) ne fait pas que répondre à une question, il en ouvre aussi tout un tas. Quel est le statut de l’exposition en ligne ? Quelles en sont les limites (expérience éminemment personnelle d’un individu à son écran, moyens limités voire inexistants, puisqu’on ne fait que réorganiser des contenus présentés, réalisés, produits ailleurs) ? Les réseaux numériques peuvent-ils encore constituer un terrain d’expérimentation, contrairement à ce qu’affirment certains artistes dans leurs réponses ? Est-il possible de représenter visuellement la prolifération d’un art internet ?
Splendeurs et misères du net-art
Y a-t-il encore aujourd’hui, plus de vingt ans après l’apparition du Net-art en ligne, un état d’esprit propice aux jeux de présence en réseau ? On pense notamment aux deux points de vue a priori totalement asymétriques de Clôde Coulpier –« le net-art autoproclamé comme tel est d’un grand ennui. Aussi stupide que "hey ! regardez, je fais de la sculpture !" »– et d’Angelo Plessas –« Internet art is like art living on exile but in a beautiful place with great food... far away from polluted closed-circuit air and markets of temporal consumer happiness » (traduction : l’art Internet, c’est comme être exilé du monde de l’art dans un endroit merveilleux avec de la bonne bouffe... loin de l’air confiné et pollué des marchés pour consommateurs de bonheurs temporels).
La pieuvre a en tout cas bien travaillé. Dans ses tentacules sont entrelacées des formes et des expérimentations qui sont la preuve d’une diversité de pratiques artistiques sur Internet : performance, activisme, son, archives, documentaire, plastique, design, glitch, bricodage, poésie… Un art vivant, en somme.
annick rivoire
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