Installation d’un des cinq "points d’écoute Poptronics" au Cneai, sur la Maison flottante des Bouroullec, à Chatou, pour le week-end des 29 et 30 septembre. © poptronics
< 21'09'12 >
Poptronics, cinq ans, cinq chantiers
2007-2012, cinq ans que Poptronics est en ligne. En cinq ans, le paysage des médias numériques a bien changé – et Poptronics aussi. Le numérique est à toutes les sauces (marchandes, économiques, juridiques…), l’accélération de l’information et le boom des réseaux sociaux sont avérés, et pourtant, les contenus de création que Poptronics n’a cessé de soutenir n’ont toujours pas la place qu’ils méritent sur la place publique (sur le Net et hors du Net).
Alors, Poptronics continue le combat. Pas celui des gauchistes des années soixante, pas celui d’un militantisme radical sclérosant, pas celui non plus d’un apostolat de la transparence à tous crins prôné par un Julian Assange via Wikileaks. Mais un combat pour que les franges, les marges, les à-côtés de la culture, les chemins de traverse qu’on subodore représentatifs de ce qui adviendra, aient un lieu de visibilité, de croisement et d’échange. Que les artistes, les chercheurs, les poètes aient un espace pour présenter et mettre en jeu leurs créations. Et c’est bien pour cette raison que la rentrée de Poptronics est plutôt chargée. Eclectique et pourtant cohérente. En ligne ou en « dur », à Paris ou à Lille, Poptronics ne lâche rien ! Revue des réjouissances.
Poptronics 2.0
C’est le chantier de l’année pour Poptronics, qui n’a pas vraiment fait de lifting digne de ce nom depuis sa mise en ligne, en 2007. Un miracle que le site ait tenu, grâce à ses concepteurs qui se sont remis au travail,
Christophe Jacquet pour la direction artistique et
Thomas Lucas en développeur de choc. Une dreamteam qui a pour mission, sous la houlette d’
Annick Rivoire, de simplifier et fluidifier le site, de lui permettre de s’insérer davantage dans l’écosystème actuel (réseaux sociaux et partage de l’info), de réagir plus rapidement et de façon plus variée en terme de formats et, partant, de s’ouvrir à d’autres expérimentations. Comme c’est en cours, on n’en dira pas plus, sauf que toutes vos
remarques et idées sont plus que bienvenues pour faire de Poptronics un espace convivial (on ne dira pas participatif, la tarte à la crème mantra du moment).
5 ans, 50 portraits
Voilà que Poptronics cède à la mode des listes. Plutôt qu’un anniversaire nombriliste (on est beaux, on est bons…), pas vraiment le genre de la maison, on a choisi de rendre aux artistes ce crédit que vous lecteurs nous avez donné. Partant d’un constat : les artistes et créateurs qu’on aime n’ont pas vraiment d’agent, ne sont pas dans le marketing et usent assez mal des outils de buzz. Un peu comme nous ! Ils ont certes une présence numérique, mais ne mettent pas systématiquement à jour leur blog, leur site ou refusent pour certains de participer à la vague du 2.0.
Poptronics a donc dressé une liste tout ce qu’il y a de plus subjective de cinquante artistes, auteurs, penseurs et collectifs qui nous ressemblent. Un questionnaire de Proust inversé qui finirait par définir ce qu’est Poptronics, en creux. La ligne de Poptronics depuis cinq ans est faite de partis pris et de coups de cœur, plutôt que d’anathèmes et de coups de griffe. Elle est élaborée par l’équipe à géométrie variable d’un site résolument indé et qui le reste, malgré les difficultés économiques. Une équipe éclectique, où tout le monde n’est pas d’accord sur tout, mais où chacun est libre de défendre ses choix. Une équipe où les artistes ne sont pas en reste, qui poussent et tirent les chercheurs, les journalistes, les critiques.
En toute logique, les artistes « proches » (soit qu’ils aient contribué à la création du site, soit qu’ils y participent de loin en loin), font partie de cette pop’liste. Et tirent eux aussi le portrait d’autres acteurs de la culture, à leur sauce. Aucun critère d’âge ou de genre, Poptronics est bien au-delà de ces questions :) Sous le nom de code
« pop’50 », la liste définitive n’apparaîtra qu’avec le dernier des cinquante portraits publiés... A vous de la découvrir, au fur et à mesure de la mise en ligne. Dans cette liste, il y aura aussi des figures tutélaires, des vigies des avant-gardes, des « papes » de l’art sonore, du cinéma ou des arts plastiques, qui, même s’ils sont sortis de l’anonymat ou de l’underground, ont encore leur part de mystère auprès du grand public.
Au Cneai, 5 ans, 5 points d’écoute
Parce qu’on n’a jamais craché sur l’IRL (la « real life » qui ferait fuir les geeks…), on fêtera aussi ces cinq ans le week-end des 29 et 30 septembre au
Cneai « Seconde époque ». Poptronics investit en effet
Island #1, le premier festival accompagnant la réouverture du Centre national édition art image (Cneai) sur
l’île des impressionnistes à Chatou (non, ce n’est pas si loin, dix minutes seulement en RER depuis Châtelet…).
Pour accompagner l’expo de réouverture de la maison Levanneur totalement refaite à neuf, et s’insérer dans cet événement atypique mais carrément classe (on côtoiera des gens très bien pendant le festival, comme
Christophe Fiat,
Jochen Dehn,
Thierry Chancogne,
Pierre Vanni ou encore
Alexandra Midal, et des artistes exposés comme
Yona Friedman et
Yann Sérandour,
Jef Geys et
Julien Carreyn), Poptronics a mélangé ses portraits anniversaires à de la création. Et propose un parcours sonore au sein du bâtiment et à l’extérieur, sur la
Maison flottante, la péniche des frères Bouroullec, à la manière d’un audioguide de musée déviant, forcément. Avec, en guise de guide de cette expo sonore dans l’expo, le graphisme (lui aussi déviant, forcément) de Christophe Jacquet.
Un scénario sonique pour les murs rénovés du Cneai concocté par
Jean-Philippe Renoult. Artiste adepte du field recording, des installations « outdoor », du radio-art et chroniqueur pour Poptronics, Jean-Philippe tire le portrait de quelques grands noms de l’art sonore : John Cage, Pierre Henry, La Monte Young, Christian Marclay.
Avec sa double casquette d’artiste et de journaliste (il est à l’origine de
Popsonics, la webradio squatteuse de Poptronics, qui diffuse sporadiquement entre médiation et création), il transforme le plasticien sonore
Christian Marclay en guide d’exposition surannée (en 2003, à la White Cube Gallery de Londres), il souligne la qualité des « silences » du maître de la musique électroacoustique
Pierre Henry, il compose une reprise acidulée de la « Variation 7 » de
La Monte Young à l’aide du
synthétiseur Moog en ligne émulé par Google, il démultiplie le « 4’33 » de
John Cage, en empilant, comme le faisaient les minimalistes américains, les versions de la partition silencieuse présentes sur le site de partage vidéo Youtube…
Point d’orgue de ce parcours tonique, un live de
Bérangère Maximin, dans la droite ligne de ces pointures de l’art sonore, samedi 29 à 19h, depuis la Maison flottante. La Française de 35 ans a en effet de qui tenir : pour son dernier album, «
No One Is An Island », sur le label Sub Rosa, elle s’est entourée de ses amis
Rhys Chatham,
Christian Fennesz,
Frédéric D. Oberland et
Richard Pinhas. Elle était tout indiquée pour ré-interpréter les sons de Poptronics éparpillés au Cneai. Et ainsi boucler la boucle sonore…
Poptronics cultive le DIY à l’Imaginarium
En vrai et en dur mais pour le coup hors région parisienne, Poptronics est aussi très occupé à transformer
l’Imaginarium en atelier DIY (do it yourself). Ce lieu hybride (art-science-industries) ouvert en février à Tourcoing, et pour lequel
Pierre Giner (autre artiste proche de Poptronics) s’est vu confier la direction artistique, mettra donc en scène à partir du 18 octobre cette culture du « fait-main techno », du
bricodage numérique, qui insuffle ses pratiques du design au jeu, du jardin à la santé, du sol au plafond. Le très bel espace de la Retorderie, le bâtiment rénové en briques rouges de l’Imaginarium, sera transformé en mini-manufacture inventive et (on l’espère) grouillante.
Poptronics, sous la conception éditoriale d’Annick Rivoire, y prépare une plongée dans cette galaxie biberonnée aux principes de la cyberculture (vivre en harmonie avec son environnement, y compris technologique, en maîtrisant les processus de fabrication). Hackerspaces, fablabs, rep’rap, fraisage 3D, circuit bending… Ces mots qu’on entend de plus en plus souvent ne sont qu’un petit aperçu d’un mouvement à l’ampleur encore insoupçonnée. Pratiques isolées ou mouvance organisée ? La vague DIY pourrait bien renverser les normes industrielles en vigueur, et permet déjà en tout cas d’envisager des alternatives aux modèles centralisés et verrouillés par les brevets et la propriété intellectuelle.
Graines de Poptronics
Un Tribute to
Chris Marker, un livre papier sur le collectif de recherche en art sonore
Locus Sonus, une collection de livres numériques d’artistes, la re-collection des pop’labs… D’ailleurs, une autre bonne nouvelle : le prochain pop’lab à venir sera celui de
Francis Mizio, l’auteur de SF drolatique qui a imaginé un récit autour des robots mélangeant allègrement uchronie et pure SF.
On travaille à tous ces chantiers, à la recherche de financements, de soutiens, de partenariats. Le tout prend du temps, puisqu’on n’a pas pour habitude de
céder au diktat du temps réel accéléré… qui fait oublier le présent ! C’est le paradoxe contre lequel on ne cesse de se battre : trop d’info peut aussi tuer la bonne info.
Un seul exemple : le site Atlantico (média de droite qui vient de lever 2 millions d’euros, tant mieux pour lui) balance cet été, à la mort de Chris Marker, une diatribe aussi idiote que consternante sur l’inculture supposée des tweetos qui ont placé le hashtag #Marker (mot-clé sur le réseau de micro-blogging) en tête des conversations le lundi de l’annonce de sa mort (inutile de chercher le lien hypertexte, on fait de la résistance).
Argument d’Atlantico : un artiste aussi obscur ne peut être connu que de façon superficielle par les internautes, et le tweet de 140 signes est la quintessence de cette forme nouvelle d’acculturation. Première erreur : le « buzz », les vidéos virales et les campagnes de retweets ne sont pas si superficielles et caricaturales qu’on nous le sert. Puisque (et c’est leur deuxième monumentale erreur) Chris Marker était beaucoup plus connu que comme un « obscur » cinéaste engagé des années soixante. Sa présence en ligne (
sur Poptronics, on en était plus que fier…, mais aussi sur Youtube et Second Life, entre autres), sa vision ubiquitaire et la continuelle recherche à l’œuvre dans ses créations en avaient fait bien plus qu’un artiste underground, une sorte de mentor de l’âge électronique. Normal qu’on termine cette chronique de rentrée par une pensée pour lui et
Guillaume-en-Egypte, son chat qui fut aussi notre pigiste.