"Ne pas être trans’, c’est être bio, ce n’est pas être hétéro !", explique Lalla Kowska-Régnier © Jean-Marc Ruellan/mutebook.com
< 11'08'09 >
Lalla : « Être trans, c’est être soi, et donc se libérer du masculin et du féminin »
(Pop’archive).
Lalla Kowska-Régnier est « née » en 2004, année des 33 ans de Jean Christian Régnier, militant aux premiers temps d’Act Up-Paris, où il se distingua tant à la commission prison qu’en mettant une capote sur l’Obélisque de la Concorde (pas tout seul !) avant d’en être le vice-président communication. Du militantisme gay à la lutte pour les droits des trans, ce(tte) journaliste (ex-Canal + de la grande époque) est à l’initiative (avec Ji Ferjani) du manifeste fondateur pour la cause transsexuelle, « Notre corps nous appartient » (2007).
Alors que le premier colloque transgenre dans une université française se tient pendant deux jours (les 22-23 mai) à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris et qu’enfin la France se décide à ne plus considérer les trans comme des malades mentaux, poptronics a voulu sonder Lalla Kowska-Régnier, cette figure engagée de la transsexualité, pour qui « la transphobie la plus violente vient d’homos ». Une parole franche et qui tranche (recueillie par mail).
Comment te définis-tu aujourd’hui ?
Lalla Kowska-Régnier : Je suis une femme trans. En fait, ce n’est pas comment je me définis, c’est ce que je suis :) Si tu veux rentrer dans mon intimité, je préciserais que je suis une femme trans hormonée non opérée. La version parisienne et H&M des shemales sud-américaines ou des ladyboys asiatiques. Par ailleurs, je considère que ma transition est terminée, même si je prévois encore des interventions chirurgicales de « réajustement ». En outre, je suis sans papier.
Le ministre de la Santé a annoncé la veille de la journée mondiale contre l’homophobie qu’elle saisissait la Haute Autorité de santé (HAS) « afin de publier un décret déclassifiant la transsexualité des affections psychiatriques de longue durée ». Qu’en penses-tu ?
Cette annonce suscite beaucoup d’espoir. Néanmoins, il faut s’assurer qu’elle ne remette pas en cause la prise en charge par la Sécurité sociale, qu’elle garantisse le libre choix des médecins et facilite enfin la procédure pour le changement d’état civil.
Ce sera « rigolo » de suivre de près les réactions des psys qui rédigent le prochain DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) aux Etats-Unis. On entend dire depuis longtemps qu’il serait question de retirer la « dysphorie de genre » du DSM pour y introduire la transphobie, les agresseurs souffrant selon certains de troubles psychiques. Je trouverais ça génial d’imaginer certains psychiatres en soin chez leurs collègues, l’arroseur arrosé !
Cette annonce est-elle l’aboutissement de deux décennies de militantisme ? Quel bilan portes-tu sur tes années d’activisme dans le cadre d’Act Up France, qui fête ses vingt ans cette année ?
Essentiellement, le fait d’avoir désacralisé les relations avec les pouvoirs publics et celles avec le pouvoir médical. Ceci dit, je regarde de moins en moins en arrière. Les choses commencent enfin. Pourtant, ce serait d’abord un regard sentimental sur les amis, les amants, les morts, les éloignés et ceux qui réapparaissent : merci Facebook et mon travail. Evidemment, j’y ai rencontré mon compagnon qui est toujours à mes côtés.
Politiquement, je pense quand même que quelque chose a été raté : la fin d’Act Up. Le groupe aurait dû s’arrêter avec la mort de Cleews Vellay, qui reste la figure emblématique d’Act Up-Paris. Aujourd’hui le discours d’Act Up n’est plus très audible et il est marqué par des incohérences politiques.
Es-tu toujours en colère ? Si oui, contre quoi ?
J’aurais voulu dire non mais oui. J’aurais voulu dire non parce que c’est faux de dire que la colère est une énergie de vie, surtout quand elle est couplée à l’impuissance face à l’objet de sa colère... J’en ai assez d’être en colère, j’essaye de trouver des trucs pour l’éviter. Malgré tout, je ne supporte pas les postures de quelques figures féministes ou « LGBT » (lesbiens, gays, bi et trans, ndlr), l’une se présentant comme radicale alors qu’elle n’est apparue sur les terrains de lutte qu’une fois assurée d’un salaire à vie par l’université, l’autre affichant une transphobie crasse qui ne dérange personne sous prétexte qu’il est co-fondateur d’Act Up-Paris -oui, je parle de Didier Lestrade). L’impunité et l’arrogance de ces gens me mettent en colère.
Quel rapport entretiens-tu avec les nouveaux militants d’Act Up et d’autres associations ?
Je ne suis plus très à l’aise avec le militantisme, encore moins avec le militantisme LGBT ou queer, qui me semble n’être qu’une sorte de répétition globale d’un discours qui commence à dater : les méchants hétéros oppresseurs des gentils gays et lesbiennes. J’ai de plus en plus le sentiment que le militantisme empêche le bonheur, et j’ai très envie d’être heureuse. Je préfère l’idée d’engagement. Il se trouve que pas mal de militants fréquentent le bar dans lequel je travaille et je trouve quelquefois sympathique de les entendre s’engueuler ou de préparer des réunions ou des tracts.
Internet ou les réseaux sociaux, comme Facebook ou Myspace, peuvent-ils faire avancer la cause ou la réflexion sur les transsexuels ? Penses-tu que Facebook puisse aider à construire une nouvelle identité et diffuser plus rapidement des questions non verbalisées dans la communauté homosexuelle ?
Internet est un outil incroyable pour la communauté trans’, il y a une très forte culture du Web (forum, sites, etc.) chez les personnes trans’. Ces ressources sont une alternative indispensable aux interlocuteurs traditionnels, les équipes hospitalières publiques qui accueillent les trans’ : il n’est plus à prouver qu’elles sont à côté de la plaque et que leurs pratiques peuvent avoir des conséquences désastreuses. Je ne peux pas te répondre sur la communauté homosexuelle : je suis hétérosexuelle, mais il me semble évident que les réseaux sociaux sont aussi des lieux de débat, d’échange et donc de construction de soi.
Que penses-tu des portraits de toi qui circulent sur Facebook et résonnent parfois avec la phrase de Karl Lagerfeld : « Je ne vends que la façade. Sa propre vérité, on ne la doit qu’a soi-même » ?
Les portraits de moi ? Moi, j’adore Facebook. C’est un vrai support dans la relation aux autres. Lorsque les amis jouent le jeu de mettre à jour leur statut et qu’on se retrouve dans la vie réelle, j’ai l’impression de voir des héros de petites fictions, c’est super enthousiasmant !
Cette phrase de Karl Lagerfeld est incroyable, un petit mantra. C’est comme la colère, je voudrais bien ne plus être en colère, et je voudrais bien être persuadée ne devoir ma vérité qu’à moi-même. J’ai encore du mal, pourtant j’imagine que ce doit être apaisant d’y arriver. C’est l’histoire du jihad intérieur ! Vraiment j’adore Karl Lagerfeld. Il raconte que sa mère lui avait fait consulter une cartomancienne ou diseuse de bonne aventure qui lui avait prédit la prêtrise et que sa mère horrifiée l’avait interdit d’églises et autres lieux de cultes. Elle avait raison, Lagerfeld a quelque chose du prêtre séculier, c’est un mage du troisième millénaire !
En 2007 sortait un manifeste signé de tout un tas de noms prestigieux (artistes, militants, chercheurs…), que tu as initié, intitulé « Notre corps nous appartient ». Peux-tu nous rappeler l’enjeu de ce texte, devenu un classique pour les féministes ?
L’enjeu du manifeste est de mobiliser les partenaires de nos transitions (juristes, médecins...) et d’impliquer aussi justement les féministes sur leur nécessaire solidarité. Notre combat est le leur -et celui de tous ceux qui se battent pour la libre disposition de leurs corps : procréation médicalement assistée, euthanasie, etc.
Te définis-tu comme une féministe ?
Je suis féministe oui.
Tu écris « transinisme », « transinité » ; penses-tu qu’il faille sortir de la pensée Queer ?
Il faut déjà arrêter de mettre des majuscules à queer :) Il y a déjà eu des tentatives récentes d’en sortir, tant les autorités queer parisiennes ont déçu par les contradictions entre leurs discours et leurs pratiques. On a donc inventé « transpédégouine », qui est encore pire et autorise l’invisibilisation totale des spécificités trans’ ! Je le répète quinze fois par jour mais ne pas être trans’, c’est être bio, ce n’est pas être hétéro ! Ce n’est pas « l’hétéronormativité » qui freine nos transitions mais tout un système de croyance qui sacralise le corps. Beaucoup de pédés et de gouines partagent cette croyance. Par ailleurs, je le répète aussi quinze fois par jour : la transphobie la plus violente que je subis vient de mecs homos dont certaines figures du milieu associatif.
Doit-on inventer un nouveau concept afin de sortir de la dichotomie « masculin »/« féminin » ?
Aïe non sûrement pas. Dans le Petit Robert, qui définit la dichotomie comme l’« opposition binaire d’éléments abstraits complémentaires », je retiens le terme complémentaire. Je vois aussi dans le dictionnaire que « dichotomie » signifie également « partage illicite d’honoraires entre le médecin traitant et un de ses confrères ». C’est de la dichotomie des équipes hospitalières françaises qu’il faut se débarrasser !
Et non, je pense vraiment que les transidentités ne sauraient être appréhendées uniquement par le biais du genre. Ce sont d’autres choses qui se jouent là.
Être trans’, c’est être soi, et donc se libérer du masculin et du féminin.
Quelles sont les limites de la pensée queer ?
Je dirais qu’elle se perd dans une dynamique masturbatoire... « What is the gender of your gender ? »
Cet article a été publié la première fois le 22 mai 2009.
recueilli par cyril thomas
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