Qui n’a pas regardé au moins une fois, dix fois, trente fois une des réalisations audiovisuelles de Jim Henson sans retenir son nom ? Normal, on ne décortique guère les génériques du Muppet Show à l’âge tendre... Jim Henson est donc le père du Muppet Show et de Sesame Street, pas moins. Gloire éternelle au créateur de Kermit la grenouille et Miss Piggy. Quand on porte pareille auréole, ça cache les étincelles qu’on a laissées ailleurs.

Rendons donc grâce au côté obscur de Henson : « Time Piece » est un coup fabuleux, une œuvre antérieure radicale et iconoclaste à côté desquelles le reste de ses productions dépasse rarement le programme pour enfants - ce qui était le plus souvent le cas. En 1965, ce court métrage de neuf minutes, en totale adéquation avec son temps, enquille polyrythmies jazz, bruitages électroacoustiques, humour noir surréaliste, bref le meilleur de l’époque. Mais l’inventivité de Henson, sa science du montage métronomique et de l’utilisation de gimmicks percussifs accordés à des récurrences visuelles fortes font de cet exercice une préfiguration absolue des machines électroniques de Matthew Herbert et d’une certaine frange du VJing. Oui, Jim Henson est le premier réalisateur techno ! Sans sequencer ni sampler.

« Time Piece » de Jim Henson (1965) :

Bien avant d’être marionnettiste, Jim Henson œuvrait pour la pub. L’impact d’un message, c’est son boulot. Le pubeux travaille une année entière sur « Time Piece ». La première projection en mai 1965 au Moma de New York est un choc, d’abord auprès des professionnels de l’audiovisuel, puis du public. Henson concourt pour l’Oscar du meilleur court métrage et recevra de nombreux prix, catégorie films expérimentaux. La bande son de Don Sebesky, élément moteur du film, est elle-même nominée avant que le compositeur ne reçoive des récompenses hollywoodiennes pour des exercices bien plus conventionnels.

« Time Piece » est une fable philosophique intemporelle, parabole sur l’origine, la vie, la mort, et au passage sur l’indispensable vie de couple… Une histoire d’amour ? Assurément ! Le film était projeté en première partie d’« Un homme et une femme » à Broadway. Il est probable que cela ait échappé à Claude Lelouch… Henson est mort à 53 ans, comme dans son rôle de composition pour « Time Piece », dans un lit d’hôpital, emporté par une pneumonie bactérienne le 16 mai 1990.

jean-philippe renoult