Si la charge homo-érotique des clés de catch ou des empoignades rugbystiques saute aux yeux, celle de Laurel et Hardy ou des martyrs de la révolution chinoise paraît moins évidente. A moins de s’appeler Tom de Pékin. Presque dix ans que ce graphiste sexo-ludique de 45 ans promène sa silhouette longiligne dans les travées du dessin, de l’art contemporain et des milieux militants gays. Dix ans, beaucoup de microéditions, de festivals, de salons et d’expos, mais rien qui réunissait ce qui commence à ressembler sérieusement à une œuvre. C’est chose faite avec la parution d’une monographie, sorte de « best-of » de ses dessins, affiches, tatoos, images vidéos : le petit livre rouge « Tom de Pékin » est présenté ce soir à la librairie du Palais de Tokyo en sa présence. L’occasion de faire le point, chez lui, devant un café lyophilisé, sur son parcours (un vit, une œuvre ?).
Un Savoyard en Chine
« Je suis arrivé à Paris en 1987. J’étais graphiste, en face d’un atelier de sérigraphie où travaillait le futur fondateur des éditions Cornelius et où passaient les gens de l’Association, et pas loin d’Arts Factory (qui plus tard l’exposera et le publiera, ndlr). Dans mon immeuble, au-dessus de chez Mireille, un travesti qui se prostituait, l’atelier de Willem. Le hasard a décidé de ce que j’allais devenir, sans l’avoir vraiment choisi. » Rentré aux Beaux-arts de Valence sur un malentendu, retoqué à l’épreuve finale pour un travail sur Louis II de Bavière jugé trop « fleur bleue » (« un vrai travail de folle »), Daniel Vincent crée son avatar artiste Tom de Pékin en 2000, sur les derniers remous d’une aventure éditoriale chinoise. « Guillaume Dégé avait fait Langues O, moi une école d’imprimerie : nous avons créé les éditions des 4 mers en 1994, et allions imprimer nos ouvrages graphiques à Pékin dans un atelier d’Etat qui utilisait les techniques traditionnelles de gravure sur bois et de reliure. On a arrêté en 2000, une fois passé le côté aventures. Année charnière où j’ai enchaîné sur Tom de Pékin. »
Calembour et détournement
Première parution, « Rêve au cul » : tout est dit. S’emparant des visuels de la propagande chinoise, il change les armes par des sexes, plante des bites ou des godes dans le front des martyrs de la révolution et remplace les slogans de guerre par des formules de poésie. « En dehors de l’aspect gag, c’est aussi une réaction par rapport à la discrimination des homos en Chine. Je n’érotise pas mes personnages, ils sont déjà érotiques et la propagande les utilise comme tels pour ses messages de guerre. Aujourd’hui, je ne pourrais toujours pas montrer ce travail en Chine, parce qu’il parle de sexualité et de politique, deux choses intouchables. » Le livre bénéficie d’une chronique de son voisin Willem dans « Libération » qui lance tout. « Les gens étaient persuadés de connaître mon travail depuis dix ans car ils connaissaient les images source. Mais ce n’était pas une stratégie calculée. J’ai pris ce nom d’artiste dans la filiation de Tom of Finland, pas pour cacher mon premier nom, mais parce que je suis plus proche de cette identité. »
Tom de Pékin est né et avec lui toute une série de détournements pirates sous l’angle du fantasme, beaucoup, et de l’humour, surtout. Dessinant comme un sale gosse griffonne des bites dans les magazines, ou comme Duchamp rajoutait des moustaches à la Joconde, Tom occupe tous les pans de la culture populaire : politique (les révolutionnaires chinois, les drapeaux nationaux), tourisme (la déclinaison Tom de Savoie), sport (catcheurs mexicains, sumos japonais, footballeurs…), musique (Elvis), cinéma (Laurel et Hardy, les Marx Brothers). « Je pars toujours de choses existantes. J’aime occuper des espaces connus qui font appel à la mémoire collective, et montrer qu’on peut les avoir vus et pratiqués d’une autre manière. J’intègre ou je décale mes personnages dans un univers de sexualité homo, rajoutant l’élément qui fait basculer le sens. »
« Pine-pong », quand l’exercice sportif vire porn-sport (2003) :
Tom n’oublie pas les filles (« God save the gouine »), la culture queer et le genre (trans, drag kings…) : « Comprendre qu’il y avait d’un côté le genre et de l’autre la sexualité m’a fait avancer dans mon travail et dans ma vie : j’étais installé dans ma façon de voir les choses, j’ai découvert un champ plus large. Je ne dissocie pas mon travail et la vision personnelle. Dans les expos, je suis souvent le seul qui travaille sur ces thématiques, je passe pour l’artiste pédé. Je fais ce qui m’a manqué. J’ai toujours été à la recherche de ce que je suis devenu, cherchant des référents dans la littérature, le cinéma, les trouvant parfois, mais le champ est réduit parce que maquillé. C’est pour ça que je suis aussi impliqué dans la visibilité : au moins dans mon travail, il n’y a pas de doute. Il y a ceux qui refusent de t’enfermer, pour qui être militant serait réducteur. Je peux refuser le placard, le ghetto, comme je peux y apprécier d’y aller, mais je ne supporte pas qu’on me dise où je dois être. »
Attention show devant
Prolongement de son travail graphique, ses vidéos (« un moyen de passer en festival et d’avoir une visibilité internationale »), une vingtaine à ce jour, lui permettent de multiplier les collaborations avec d’autres artistes, musiciens... Et de passer la barrière du live en les réadaptant dans des spectacles de cabaret burlesque. Dernière en date, « Molinier is my révolution », autour de l’œuvre de l’artiste bordelais Pierre Molinier, « qui travaillait sur l’autoportrait, le fantasme, le désir. Il aimait tellement les jambes de femmes qu’il en était venu à aimer ses propres jambes, à mettre des bas, les raser, devenant son propre fétiche. En 1968, c’est la révolution, ça pétait de partout et lui, il photographiait son cul, il était bien en avant de tout ça. »
« Molinier is my révolution », textes et musique Chose Chaton (2008) :
Aujourd’hui, Tom prépare en famille (« femme à barbe, garçon manqué, dame tatouée ») un spectacle cabaret pour le off du Printemps de Bourges (le Cabaret Bouffe de Plug & co, les 24 et 25 avril, dans la même programmation Kabaret Foutraque que les Kisses Cause Trouble de Wendy Delorme), où, une fois n’est pas coutume il se met en scène, sous les traits d’un chien soumis avec muselière. Fin de l’entretien : Tom de Pékin part s’acheter des protège-genoux pour son rôle de composition.
julie girard
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commentaire
écrit le < 28'03'09 > par <
mister.n FU8 laposte.net
> Quel plaisir aussi de voir Chose Chaton ! Merci.